C’est vite vu. Il n’y a même pas de calcul à faire ! » Dans le Sancerrois, Clément Raimbault est formel : le curetage gagne haut la main le match de l’efficacité face à la complantation. « Un complant met six à sept ans à produire alors qu’un pied cureté fait de beaux raisins l’année suivante. S’il faut traiter 2,5 % des pieds dans une parcelle, on gagne 15 % de vendange l’année qui suit le traitement si on curette plutôt que de complanter », raisonne-t-il.
Installé à Sury-en-Vaux, Clément Raimbault cultive 22 ha en bio qu’il taille en guyot-poussard. Dès juin, ses ceps expriment régulièrement des symptômes d’esca. « Cela peut monter jusqu’à 8 à 10 % de pieds touchés dans des vignes de 15 ans. Le sauvignon est plus touché que le pinot noir. Si je ne fais rien, la mortalité atteint 2 à 3 % par an », détaille ce vigneron.
C’est en 2017 que Clément Raimbault opte pour le curetage, un travail qu’il confie uniquement à ses permanents. « Il faut des gens expérimentés et prudents, justifie-t-il. Si on coupe le flux de sève, c’est l’échec. »
Entre juin et septembre, il profite des travaux dans les vignes pour marquer les pieds malades et ce, dès le début du relevage. Puis, sans attendre la fin de la saison, les ouvriers partent le matin les nettoyer à la tronçonneuse électrique lors de chantiers qui vont durer cinq heures. Traiter un cep réclame de 2 à 10 minutes. Chaque ouvrier curette 80 à 100 pieds par jour, soit 5 000 à 6 000 par an. « C’est un travail pénible, admet Clément Raimbault. Mais on a 90 % de réussite. »
À Léognan, en Gironde, 4 à 5 % des 60 ha du Château Olivier présentent des symptômes foliaires d’esca. « Dans une parcelle de cabernet-sauvignon où rien n’avait jamais été fait, le curetage a sauvé 44 % des pieds marqués. Dans celles qui sont suivies annuellement, le taux de réussite grimpe à 93 % », relève Philippe Stoeckle, directeur technique, qui suit très précisément les résultats de cette intervention.
Philippe Stoeckle avait de prime abord opté pour le surgreffage. Mais l’opération s’est révélée « très technique » et donnait souvent naissance à de nouveaux pieds très fragiles. En 2017, il s’est tourné vers le curetage. Depuis, le quart environ des vignes a été cureté une fois. Certaines parcelles où de nouveaux pieds malades ont été repérés ont déjà bénéficié d’un deuxième passage.
En août, les ouvriers marquent les souches symptomatiques avec un ruban de couleur propre à l’année en vue de les cureter entre janvier et mars. Ils ciblent en priorité les parcelles âgées de 10 à 20 ans de sauvignon blanc (8 ha) et de cabernet-sauvignon (20 ha). Ce sont les plus vigoureuses et les plus sensibles à l’esca. C’est aussi là que l’opération a les meilleures chances de réussite. « Dans les vignes âgées, le champignon est souvent bien implanté. Cureter demande plus de temps, sans garantie de reprise », explique Philippe Stoeckle.
Bon an, mal an, le Château Olivier curette 1 000 à 1 100 pieds, en interne ou en prestation. « Le curetage est plus cher à l’instant “t”, mais on récolte l’année suivante. Un complant, c’est trois ans minimum avant d’obtenir des raisins et l’obligation croissante d’arroser en raison des sécheresses », compare Philippe Stoeckle.
En Anjou, Philippe Socheleau n’a plus le moindre doute. « Nous sommes à bloc dans le curetage. Sur un pied cureté, les symptômes disparaissent au bout de deux mois », déclare le propriétaire du Domaine des Deux Vallées, à Saint-Aubin-de-Luigné. Ce vigneron a testé l’opération pendant deux ans avant de l’adopter en 2017.
Chez lui, les symptômes fluctuent selon l’année, le terroir et l’âge de la vigne. Sur le chenin blanc, qui occupe 75 % des 60 ha de son domaine, il repère quelques pieds par hectare dans les vignes de 5-6 ans et jusqu’à 8 % dans les vignes de 12 à 18 ans. « Il y a une géographie de l’esca, ajoute-t-il. L’appellation Savennières sur la rive droite de la Loire est plus touchée que la rive gauche. »
Deux salariés sont chargés du curetage. L’opération demande 2 à 7 minutes selon le cep, soit un coût inférieur à 4 €. « Ils démarrent vers le 15 juin par les plus jeunes vignes et repassent quatre à six semaines après », indique Philippe Socheleau. L’an dernier, ils ont cureté 2 800 pieds. Les vignes de plus de 30 ans sortent du suivi. « Elles tiendront le coup jusqu’à l’arrachage », juge le vigneron.
En Alsace, le curetage est l’une des options que retient Anne Simon, viticultrice installée sur 8,5 ha à Pfaffenheim. « Mon gewurztraminer et mes rieslings de 40 ans sont les plus touchés par l’esca. Le curetage de ces vieux ceps demande parfois jusqu’à 15 minutes. Comme ils sont tordus, il faut beaucoup de temps pour éliminer toutes les parties malades. Nous aimerions en cureter davantage. Mais, au bout du compte, c’est le temps qui nous manque », détaille-t-elle.
De ce fait, elle privilégie le recépage, pratiquant souvent le recépage forcé qui consiste à décapiter tout bonnement les souches malades espérant qu’elles fassent des rejets. « Quand on voit des symptômes, on décapite les souches à 30 ou 40 cm du sol, explique Anne Simon. Au printemps suivant, on garde un rejet et, si jamais la maladie est déjà installée dans le tronc, on le curette. Avec le gewurztraminer et l’auxerrois, ça marche bien car ils émettent facilement des rejets. Avec le riesling, c’est plus compliqué, surtout dans les vieilles parcelles. »
Dans le même village, il y a deux ans, son voisin Grégory Staub a mis le curetage en pause pour repasser à la complantation car ce travail lui a bloqué le dos. « Mais je reste persuadé que le curetage est efficace. Je compte bien m’y remettre dès que je pourrai », déclare-t-il.
En 2018, les groupes MIVigne (Mobilisation et Innovation) de Maine-et-Loire ont mené des essais de curetage chez Frédéric Bodineau, aux Verchers-sur-Layon, en Anjou. L’intervention a été réalisée six mois avant la vendange. Elle a permis d’atteindre 72 % du rendement moyen des ceps asymptomatiques la même année et 102 % du rendement en 2019. Sur un hectare planté à 4 500 pieds et présentant encore 3 300 pieds productifs, il a fallu recéper 165 ceps. À raison de dix minutes par pied, l’opération a coûté 475 € alors que ces ceps ont apporté un chiffre d’affaires supplémentaire de 1 582 €/an (900 €/hl), soit une marge de 1 107 €/ha.