ux Lèves-et-Thoumeyragues, en Gironde, le 2 juin 2022 à 5 heures du matin, la grêle s’abat sur les 35 ha de la Ferme des Mauberts. « 9 ha étaient entièrement détruits, relate le propriétaire du domaine, Christophe Porcher, qui conduit ses vignes en guyot. Merlot, cabernet franc, cabernet-sauvignon et sémillon ; la grêle n’a pas fait de différence, tous les cépages étaient touchés. On aurait dit que la vigne était sur le point d’être arrachée tellement elle était dévastée. »
Face à cette situation lunaire, Christophe Porcher prend une décision radicale et surprenante, contre l’avis de la chambre d’agriculture de la Gironde. Dix-huit mois après, il ne le regrette pas. « Dès le lendemain, on a retaillé 7 des 9 ha les plus grêlés. Alors que la vigne était en fin de fleur, on a recoupé tous les sarments de l’année à 5 centimètres du point de départ pour favoriser le départ des bourgeons de la couronne. Seul objectif, avoir suffisamment de bois pour pouvoir tailler l’hiver suivant. »
Avant la grêle, les vignes de Christophe Porcher avaient déjà gelé. Après la taille de début juin, c’est donc un troisième cycle végétatif qu’elles entament. Malgré cela, fin juillet, elles fleurissent, puis poussent jusqu’à l’aoûtement des bois.
« À la vendange 2022, sur les vignes retaillées en juin, on a récolté entre 2 et 5 hl de vin à l’hectare, rapporte le vigneron. Ce n’est pas grand-chose, mais il y avait au moins 30 % de grappes en plus que sur celles laissées telles quelles après la grêle. Et 2023, sur les vignes retaillées de sémillon, on a fait le plein, soit 50 hl/ha. Sur les rouges, on a produit 25 hl/ha seulement, soit deux fois moins. En fait, il y avait de la récolte, mais le mildiou était passé par là. »
Retailler en vert, Christophe Porcher n’en a pas eu l’idée par hasard : « Un vigneron et ami des Côtes de Bordeaux Blaye, Thomas Novoa, avait déjà fait l’essai en 2018, et l’impact sur sa récolte l’année suivante avait été spectaculaire. » Ce vigneron certifié AB exploite 45 ha de vignes du côté de Saint-Christoly-de-Blaye, en Gironde. Après un orage de grêle, le 26 mai 2018, il retaille ses 30 ha détruits à 100 %. « Nos vignes sont taillées en guyot. Elles étaient en début de floraison. Ça nous a pris deux semaines, rapporte-t-il. Elles ont pleuré pendant trois semaines après la taille, puis elles ont repoussé. À la vendange 2018, on a eu très peu de récolte, forcément. Mais en septembre 2019, on a rentré une récolte pleine, soit 55 hl/ha. »
À Castelnau-d’Auzan, dans le Gers, Vincent Piquemal, propriétaire du domaine de Danis, a vu ses vignes ravagées le 4 juin 2022 par un violent épisode de grêle alors qu’elles étaient en fin de floraison. « On a retaillé la moitié du domaine, soit 21 ha. Tous les pieds de colombard et de folle-blanche, et la moitié des gros mansengs et des sauvignons. Il faisait 40 degrés à l’ombre, on n’a fait ce que l’on a pu », avoue-t-il.
En 2022, Vincent Piquemal ne récolte rien. Mais en 2023, la vendange atteint « 70 % des volumes habituels sur les vignes retaillées et seulement 30 % sur les vignes laissées en l’état ». Un écart important qui ne le surprend pas. « Sur les vignes non retaillées, la taille hivernale avait été plus compliquée : les bois étaient cassants et le choix très limité. »
Vincent Piquemal ne l’explique pas, mais il a également constaté que certains cépages ont mieux supporté la taille estivale que d’autres. « Sur les sauvignons, il n’y a quasiment pas eu de sortie de bourgeons et la floraison s’est mal faite, alors que sur les colombards, c’était l’inverse. Le bois était beaucoup plus joli pour tailler, et ça s’est retrouvé à la vendange cette année. »
Christophe Porcher a malheureusement subi une nouvelle grêle le 4 juin dernier. « 6 ha ont été touchés à 50 %, affirme-t-il. Mais, contrairement à 2022, je n’ai pas retaillé la vigne pour deux raisons. La première, le bois était plus dur que l’année passée, et donc les dégâts moindres. Et la deuxième, parce que le stade végétatif était beaucoup plus avancé. Les grappes étaient déjà au stade petit pois et, si j’avais retaillé, la vigne n’aurait pas eu le temps de repousser, de fleurir et d’aoûter. La taille cet hiver risquait d’être compromise. »
Thomas Novoa et Vincent Piquemal partagent le même avis. « La retaille après la grêle, oui. À condition de prendre en compte le stade végétatif de la plante, avant le stade petit pois, et le cépage. »
Après la grêle de juin 2022, Vincent Piquemal ne retaille qu’une partie de son domaine. « Par manque de temps, mais aussi par prudence car la pratique est innovante », confie-t-il. Six mois plus tard, au moment de la taille, il constate la différence. « Dans les parcelles non retaillées, c’était très compliqué de trouver du bois, il n’y en avait quasiment pas. » À Saint-Christoly-de-Blaye, Thomas Novoa, qui a retaillé ses vignes après un orage de grêle en 2018, confirme : « J’ai des cordons que je n’ai pas pu retailler. En hiver, ces pieds ressemblaient à des buissons. Les bois étaient cassants et, surtout, on y a passé trois fois plus de temps. »