t si la filière vin parlait du nez au point d’être inécoutable pour le consommateur ? Dans la pile à peine périmée des dernières publications sur les foires aux vins, prenez au hasard une critique sur une cuvée coup de cœur : vous promettra-t-elle les délices d’arômes de fruits rouges et noirs à la pleine maturité, ou un léger parfum citronné aux fraîches notes de fleurs blanches, à moins que l’on trouve une pointe de réglisse surlignée de menthol ? Rassurant à coup sûr le lecteur néophyte sur le sérieux du critique faisant l’étalage de ses dons olfactifs, cette liste technique va-t-elle transmettra au consommateur en puissance le moindre désir de goûter, la parcelle d’envie d’où peut naître un achat ?
Comme s’en moque le journaliste humoriste David Castello-Lopes sur France Inter à propos des conseils éloquents de sommeliers : « derrière ces déluges de jargon que je laisse couler sur moi en tremblant, il y a souvent la volonté de m’intimider pour que me taise et que j’achète ». Et même quand un cafetier simplifie ses questions à des classes de préférences (tannique ? Fruité ? Floral ?), la terminologie utilisée n’est pas intuitive, se parlant plus à elle-même qu’au potentiel acheteur. Pour ne pas dire consommateur, comme l’explique dans un vivifiant entretien Joe Fattorini, le présentateur britannique de l’émission The Wine Show, pour qui il faut remettre le discours du vin à sa juste place : « lorsque les Français parlent de leur patrimoine, de la transmission du savoir-faire, du système des appellations etc, s’ils remplaçaient le "je" par "vous", ce serait beaucoup plus efficace. Donc, "vous" allez accéder à des générations de patrimoine et d’histoire, vous allez participer à un voyage virtuel à travers ce flacon depuis chez vous, et vous allez faire partie d’une communauté qui œuvre depuis de nombreuses années et nous voulons que vous veniez la voir. ».
Comment rompre un discours désormais ronronnant sur le vin ? Comment boire plus loin que le bout de son nez ? Peut-être en se rappelant que l’analyse œnologique est une forme de dissection post-mortem pour analyser les réussites, et échecs d’un millésime et d’une vinification, pas l’approche vivante d’une dégustation à table ou au comptoir. « Vers la fin des années 1970, sous la férule d’André Vedel, Max Léglise et Émile Peynaud, un vocabulaire le plus précis possible se fit jour. Le projet scientifique de l’époque visait un vocabulaire unique pour la dégustation » et « la conséquence de ce programme fut d’appliquer à la dégustation des vins les principes de l’analyse sensorielle » retrace le professeur Fabrizio Bucella dans son dernier livre, Trouvez le vin qui (vous) va bien (éditions Flammarion, 224 pages pour 22,50 €), qui a la particularité de se positionner « contre le fatras des descriptions olfactives absconses [pour ne parler] que du goût, pas trop de la vue, et fort peu des odeurs ».
Une approche iconoclaste que l’on trouvait dans le Guide des vins de Bordeaux de Jean-Marc Quarin (éditions Solar, 2011). Également critique du verre INAO, le dégustateur prône « la bouche avant le nez » pour profiter d’un vin : « l’imagination des verriers œuvrant, l’usage du nez connaît une véritable hypertrophie. Qui ne s’est pas senti isolé dans un groupe de dégustation en entendant évoquer l’odeur du cassis, du musc, de l’abricot et même de l’abricot de Californie ? […] Je ne crois pas à la communication sur le vin à travers ce type d’échanges, sauf entre spécialistes. Pour les autres, ils relèvent de représentations très personnelles qui font rarement sens. »
En bref, « ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément » posait déjà Boileau, dans son Chant Premier de L'Art poétique (1669-1674), qui peut donner ce conseil à ceux voulant décrire un vin de prendre patience : « hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »