Fabrizio Bucella : On voudrait tous que le vin qui va bien soit celui qui nous plaît d'un point de vue gustatif et remplisse nos verres subsidiairement. Malheureusement ce n'est jamais le cas. La science a démontré que le gustatif pur n'est pas la seule chose qui nous procure du plaisir. Il est influencé par l'étiquette, la réputation etc... En ramenant la dégustation à quelques composantes simples, on donne des clés au lecteur pour décortiquer le vin. Le gustatif reprend du poil de la bête après avoir été séquencé et apprivoisé.
Si vous expliquez les mécanismes scientifiques de la production et de la dégustation de vin, vous revenez aux fondamentaux du vin pour son buveur : est-il plaisant ou non. Est-ce que langage technique des professionnels du vin oublie cette notion de plaisir et l’occulte derrière son savoir ?
En toute franchise, il y a certaines descriptions que je ne comprends pas. On aligne des mots qui tiennent ensemble par eux-mêmes, mais on ne saisit pas le vin. On se demande qui les comprend. Là où les bras m'en tombent c'est qu'on est tous capable de donner une appréciation précise sur un repas sans faire de grands chichis. Avec le vin on est de la revue. Une des choses qui vient tout compliquer est l'examen olfactif. Il jette un nuage de fumée et on est perdu. On l'a d'ailleurs retiré du bouquin, se concentrant sur les sensations du vin en bouche.
Vous ne semblez pas fan des notations sur 100 à la Robert Parker. Vous proposez une échelle plus parlante : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et pas du tout.
Noter des vins au point près sur cent, c'est vraiment incompréhensible. On crée une fausse précision qui ne repose sur rien. Savez-vous me dire quelle est la différence entre 82 et 83 ? Certains s'amusent à mettre des demi-points ! Ces notes ne sont pas reproductibles. Vous redégustez les vins et vous mettez d'autres notes, qui n'ont rien à voir. Vous me direz que le professeur de mathématiques de l'incertitude est influencé par ses propres cours. Encore heureux ! Dans mes autres ouvrages, j'établis régulièrement des ponts entre ces deux domaines.
Dans l'analyse sensorielle, on considère classiquement qu'une échelle à cinq niveaux est compréhensible, robuste, reproductible pour des panels non-experts. Cela tombe bien, c'étaient exactement les options de la marguerite : j'aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie et pas du tout.
Peut-on parler du plaisir de boire du vin en particulier, et des boissons alcoolisées en général, sans être taxé d’incitation à l’ivresse ?
C'est parfois difficile. Si vous parlez de vin, vous êtes forcément dipsomane et haro sur le baudet. C'est une caricature, mais c'est une critique entendue. On espère tous que boire mieux c'est boire moins. Pour apprécier la qualité d'un vin, il n'est point besoin de siffler le tonneau avait affirmé Oscar Wilde.
Ceci-dit, il faut cesser cette hypocrisie. Le vin reste un psychotrope légal, c'est aussi cela qui attire. On n'en ferait pas tout un pataquès s'il ne contenait pas d'éthanol. J'aime bien citer Baudelaire* : "Il faut être toujours ivre. Tout est là." Puis il ajoute : "Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous." Ces vers m'ont toujours fait vibrer depuis que je suis adolescent. Il me semble récupérer dans le doux dérèglement des sens un fragment d'éternité, une vibration, un quelque chose qui vous prend de l'intérieur, comme lorsque je suis devant la cathédrale de Florence et que je regarde la coupole du Brunelleschi en me demandant : mais comment a-t-il a fait pour monter un bazar pareil ce diable ? On ne le sait toujours pas.
Face à la déconsommation de vin, vous semblez prôner une affirmation pratique de son propre goût individuel, permettant de sortir des dogmes d’un bon goût des amateurs éclairés de vin.
Le vin, la nourriture participent d'un imaginaire social et culturel. Comme tels, ils sont soumis à des dogmes. Qu'est-ce qu'on ne nous a pas cassé les pieds avec les vins orange par exemple ! On nous a fait une tête au carré sur les vins originels, la quintessence du bazar et j'en passe et des meilleures. C'est à se demander pourquoi nos ancêtres ont été si bêtes de ne plus en faire. La vérité est qu'il y en a des bons et il y en a des mauvais et que tout le monde n'aime pas ça, même les bons.
L'idée générale est de réussir à considérer le vin comme n'importe quel aliment. Je prends souvent la comparaison avec les fromages : on sait lesquels on aime, lesquels on n’aime pas. On devrait réussir la même chose avec le vin. Le livre veut modestement aider à mieux comprendre ses propres goûts. Le voyage sensoriel est magique, car il se fait à la fois en nous et en-dehors de nous. On se connaît mieux soi-même en connaissant mieux quelque chose d'extérieur à nous-même.
Dans votre livre sur la quête de perfection et d’idéal dans le goût des vins, pourquoi vous être limité aux seuls vignobles de France ? Pour prévoir des déclinaisons sur ceux d’Italie ou de Californie quand le livre y sera traduit ?Ah ! Je croise les doigts ! Que vos paroles soient prophétiques ! Traduction quarante langues ! Sur papier vélin ! Tirages épuisés ! Files deux heures en signature ! En toute sincérité, la raison principale est le nombre de pages que stipulait le contrat d'édition. Bien entendu, je ne l'ai pas respecté, j'ai remis près de 50 % des signes en plus, mais à un moment donné fallait pas pousser bobonne dans les orties. Les commandes de papier sont passées deux ans à l'avance et il était difficile de faire rentrer les autres vignobles sur des pages qui n'existaient pas.
Notez qu'un des gros avantages du livre est le maquettage exceptionnel des quatre mains de Flore Gressard et Melissa Piallat. Les dessins sont tous précis, pensés, soignés... Ce n'est pas de l'infographie pour de l'infographie. Cela facilite la compréhension du propos, aide à la lecture, un peu comme on suivrait le cours d'un prof dessinant les schémas au tableau.
Si vous deviez ne prendre qu’une bouteille de vin sur une île déserte, quelle serait-elle aujourd’hui ?
Un magnum, voire un double magnum. Sur une île déserte, le temps est très long, autant prévoir de la réserve et un tire-bouchon.
* : Poème "Enivrez-vous" dans le Spleen de Paris (1869).
Entre rentrée littéraire et foire aux vins, les ouvrages promettant une approche décomplexée et pédagogique du vin sont légion. Mais il ne suffit pas de mettre des couleurs pétantes et de jolis dessins pour permettre à un néophyte de se plonger dans la culture du vin sans se noyer dans sa complexité. Reléguant la théorie en appui de la pratique pour ne pas dégoûter son lecteur, le professeur Fabrizio Bucella propose une méthode d’approche de la dégustation dans son nouvel opus, le huitième : Trouvez le vin qui (vous) va bien (éditions Flammarion, 224 pages pour 22,50 €). Une façon d’embarquer le lecteur, et ce sans le prendre pour un idiot, à grand renfort de citations éclectiques (de Coluche à Brillat-Savarin), de jeux intrigants (comme celui de l’eau et des goûts) et de fiches récapitulatives (on sent le prof donnant l’antisèche à l’élève).