eader en Belgique de l'élevage des vins en fûts de chêne, avec une capacité de plus de 1 200 barriques, Grafé Lecocq propose plus de 500 crus qu’il met en bouteille lui-même, avec une consigne de 23 cts par bouteille. « Lorsque mes arrière-grands-parents ont fondé la maison en 1879, la consignation était une pratique très répandue dans le monde du vin », explique Bernard Grafé, représentant la quatrième génération de la famille. « Pendant plusieurs décennies, elle s’est avérée être un moyen de fidélisation jusqu’au moment où les gens ont commencé à abandonner ce système ».
Il faut dire que le modèle commercial de Grafé Lecocq est particulièrement bien adapté à la consignation. Livrant à la fois des clients professionnels et particuliers dans un rayon géographique relativement limité avec ses propres camionnettes, la société récupère ses bouteilles au passage puis les fait laver par un prestataire de services – depuis six ou sept ans – et les réutilise. « Ce circuit fermé est relativement facile à appliquer », reconnaît le dirigeant de la dernière maison d’élevage de vins en Belgique. Et de préciser toutefois qu’il y a dix ou vingt ans, « on passait pour des gens qui travaillaient de façon désuète ». Sa persistance a toutefois été récompensée, motivée par « une intuition que c’était un système qui avait du sens ». Chiffres à l’appui, Bernard Grafé détaille une empreinte carbone « dix fois moindre qu’une bouteille qui va à la bulle à verre », un calcul qui tient compte du fait, entre autres, que ses camionnettes ne reviennent pas vides de leur tournée. « La différence entre la consignation et la bouteille qui rentre dans un circuit de recyclage est évidente : pour fabriquer une bouteille il faut chauffer le verre à 1 500°C pendant 24 heures alors que pour la laver il faut 30 à 40 minutes entre 60° et 70°C ».
La quasi-totalité de ses volumes commercialisés – y compris les grands vins – sont concernés par la consignation, la seule exception étant le champagne : « Pour des questions de sécurité, la réglementation champenoise interdit le lavage et la réutilisation des bouteilles ». C’est d’ailleurs pour ces mêmes questions sécuritaires que la maison a décidé il y a quelques années de faire appel à un prestataire de services pour les opérations de lavage : « Le produit de lavage est à base de soude principalement, puis il y a tout le processus de rinçage. Il ne faut aucun éclat de verre au niveau du goulot et cela demande un équipement de contrôle électronique. Nous avons donc préféré faire appel à une entreprise dont c’est le métier ». Les bouteilles sont réutilisées entre sept et dix fois : « Certaines études montrent qu’on peut aller jusqu’à 15 ou 20 fois mais je suis un peu sceptique parce qu’au bout d’une certaine utilisation, la surface des bouteilles griffe un peu et la protection qui leur permet de bien glisser sur la chaîne d’embouteillage a tendance à s’user, créant des tâches bleutées à certains endroits », explique Bernard Grafé.
Il y a d’autres contraintes : « La consignation nous oblige à simplifier les types de conditionnement qu’on utilise ». Ainsi, bouteille bourguignonne d’un côté (Bourgogne, Beaujolais, Côtes-du-Rhône, Val de Loire, et certains IGP et vins du Languedoc) et bordelaise de l’autre (Bordeaux, Sud-Ouest et certains vins du Languedoc). De plus, il faut que les bouteilles soient un peu plus lourdes – environ 550g – et plus résistantes. Et puis, elles doivent être uniformes, donc pas de blason ou d’autres symboles marketing prestigieux et différenciants, et aucune possibilité de changer de modèle ni d’échanger avec d’autres opérateurs. Ce dernier point représente un frein important à l’adoption plus massive de la consignation, estime Bernard Grafé : « Il faudrait, comme pour la bière, le développement de standards consignés qui permettrait l’interchangeabilité des bouteilles entre opérateurs ». Dernier écueil non négligeable : « L’étiquetage adhésif est l’un des pires ennemis aujourd’hui de la consignation parce qu’il part très mal ou pas du tout ». Un problème qui se pose pour des produits à rotation rapide, mais surtout pour les vins de garde.
Malgré toutes ces problématiques, la maison Grafé Lecocq n’est pas près d’abandonner son dispositif, encouragée par les récentes pénuries de bouteilles et la montée en flèche des coûts, mais surtout par une mutation profonde des mentalités. « L’un des contacts que j’ai eus était avec l’un des plus grands domaines de Vosne-Romanée, dont les grands crus se vendent à 200, 300, 400 euros la bouteille », explique le négociant belge. « Ils se sont interrogés pour savoir comment s’orienter vers la consignation, étant persuadés que certains terroirs de grands crus disparaîtront d’ici 20 ou 30 ans si on ne fait rien pour lutter contre le changement climatique. En tant que locomotives, ils estiment devoir montrer l’exemple. On n’aurait jamais imaginé une telle réaction il y a 15 ans ». L’augmentation des normes ESG incite, également, la société à poursuivre sur sa voie, lui permettant de remporter des appels d’offre. Elle vient, par ailleurs, de lancer un partenariat avec une société hollandaise pour mettre en place un système de collecte dans la région d’Amsterdam, même si la consignation ne fait pas du tout partie des habitudes culturelles des Hollandais : « En 24 heures, notre partenaire a eu 1 200 « likes » sur LinkedIn. Il y a vraiment quelque chose qui fait dire aux gens que c’est une super idée ».
Reste maintenant à encourager « nos gouvernants, qui pourraient mettre en place par exemple des incitations fiscales ». Si le sujet des conditionnements se discute dans le cadre du PPWR (la proposition de règlement européen sur le packaging et les déchets de packaging), rien n’est encore décidé et pour Bernard Grafé, les objectifs restent peu ambitieux : « Pour le vin, on a un objectif de réutilisation de 5% d’ici 2030 et de 15% pour 2040 au niveau européen, et il y a un lobbying de toute une série d’intervenants qui ne voient pas la réutilisation d’un très bon œil, notamment l’industrie verrière. Or, pour moi, globalement il faut de plus en plus que les produits intègrent les externalités environnementales qu’elles engendrent. C’est une réflexion qui doit se mener au plus haut niveau ».