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’après Louis Pasteur, il y aurait plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres. L’ouvrage une Philosophie du vin du professeur d’universités Pierre-Yves Quivigier (éditions Albin Michel, 17,99 € pour 288 pages) l’illustre, démontrant qu’il y plus de philosophie née de bouteilles de vin qu’on ne le pense. Riche de savoirs universitaires solides et de souvenirs personnels liquides, l'ouvrage de l’enseignant-chercheur à la Sorbonne tient du partage de gai savoir. Citant les œuvres d’Emmanuel Kant comme les répliques du Dîner de cons, Pierre-Yves Quivigier remonte inévitablement au « père de la philosophie occidentale » : Platon, qui a usé et abusé du vin pour établir ses enseignements antiques. Évoquant le Banquet et la République, Pierre-Yves Quivigier se focalise sur les Lois où Platon oscille « entre analyse des effets du vin et réflexion sur la place des banquets (arrosés) dans l'administration de la Cité et l'éducation des citoyens. Dans ces pages dont on se demande si on pourrait les faire lire en terminale sans émoi chez les associations de parents d'élèves, le ministère de l'Éducation nationale et celui de la Santé et de la Prévention, on apprend que "le temps passé à boire ensemble [...] joue, si on l'emploie comme il convient, un rôle important dans l'éducation". »
Pour éviter tout malentendu, Pierre-Yves Quivigier précise que « Platon ne recommande pas de boire du vin à tout âge et surtout pas dans la prime enfance : il souhaite une abstention totale (on ne peut même pas le goûter) avant 18 ans "parce qu'il ne faut pas faire couler du feu sur le feu", une consommation modérée jusqu'à trente ans ("en s'abstenant absolument de l'ivresse et de l'excès de vin"). En revanche, en abordant la quarantaine et en la dépassant, le vin peut être consommé largement puisqu'il "constitue pour les hommes âgés une initiation en même temps qu'un divertissement, dont ce dieu [Dionysos] a fait don aux hommes comme d'un médicament (pharmakon) destiné à prévenir le dessèchement de la vieillesse, pour faire que nous rajeunissions et que, par l'oubli de ce qui lui enlève son ardeur, l'âme retrouve une humeur moins rigide et plus souple"». Le sphinx de Thèbes aurait pu demander à Œdipe : quel être n’a d'abord pas de verre le matin, puis deux lampées à midi, et toute la bouteille le soir ?
Ce n'est pas rire qui est le propre de l'homme, mais boire du vin bon et frais
Balayant aussi les philosophies du romain Sénèque ou du bordelais Montaigne, Pierre-Yves Quivigier se concentre sur les œuvres de François Rabelais, où le vin « se voit reconnaître une dignité et une éminence qui peuvent surprendre puisque boire du vin est ce qui définit en propre l'humanité : "Et ici nous maintenons que ce n'est pas rire qui est le propre de l'homme, mais boire ; je ne dis pas boire simplement et absolument, car aussi bien les bêtes boivent ; je dis boire du vin bon et frais."» Pour le philosophe, « Rabelais place le vin au centre de son anthropologie et de sa théorie de la connaissance. Cela suffit pour en faire une figure majeure de l'histoire de la philosophie du vin. »
50 nuances de griserie
Pouvant être titré "des philosophes du vin", une Philosophie du vin étudie aussi des penseurs et auteurs plus contemporains. « Peu de philosophes ont su, mieux que Guy Debord, décrire la gamme chromatique de l'ivrognerie ; il est vrai qu'il savait de quoi il parlait » note Pierre-Yves Quivigier, qui distingue fondamentalement « deux perspectives de philosophie du vin, celle qui écarte l'ivresse comme un effet collatéral globalement indésirable, et celle qui donne à l'ivresse un statut privilégié dans la relation au vin » en suivant Les 10 stades de l’ivresse du film Saint-Amour*.
Alors que la question de savoir si le vin est un alcool comme les autres, Pierre-Yves Quivigier estime que « si la question philosophique de l'ivresse se distingue de celle du vin (ne serait-ce que parce qu'on peut être ivre souvent et ne jamais boire de vin), il est néanmoins souhaitable d'étudier l'ivresse quand on étudie ce que signifie la dégustation du vin ». Et son ouvrage somme de citer le philosophe britannique Roger Scruton : « tout comme le baiser enflammé n'est ni une version pacifique ni une prémonition de la séparation amère à laquelle il conduit finalement, le goût enivrant du vin n'est pas une version fade ou une prémonition de l'ivrognerie. Ils ne font tout simplement pas partie du "même genre de choses" ».
* : « D'un léger état d'ébriété qui désinhibe à une soûlerie profonde qui empêche de se tenir debout et d'articuler, en passant par le "vin joyeux" qui vous transforme en convive apprécié, nombreuses sont les formes de cette altération de la conscience que la médecine a identifiées depuis longtemps. On peut être "un peu pompette" comme être "ivre mort" » note Pierre-Yves Quivigier
Photo : Peu importe le flacon pourvu que l’on ait livresque cette rentrée littéraire.
