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Le terroir : un chemin qui relie les sens au sens. La question du terroir, les arguments de Joel DUPAS, vigneron agrégé de philosophie

Par Vitisphere Le 05 juin 2007
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 Le terroir : un chemin qui relie les sens au sens. La question du terroir, les arguments de Joel DUPAS, vigneron agrégé de philosophie
A


près avoir obtenu l'agrégation de philosophie, Joël Dupas a enseigné pendant plus d'une décennie cette discipline dans l'enseignement secondaire. Il a collaboré au début des années 90 à la revue littéraire l'école des lettres, en a rédigé plusieurs numéros, en particulier celui concernant la relation de Rilke avec les arts et a édité et postfacé aux éditions du Seuil dans la collection, l'Ecole des Lettres : Paradoxe sur le Comédien de Denis Diderot. Depuis 1996, il se consacre exclusivement à la gérance d'une exploitation viticole en région libournaise. En 2007, il assume la responsabilité de la présidence du syndicat viticole de Montagne Saint Emilion.

Le terroir n'est pas une réalité monolithe

Le terroir n’est pas une réalité monolithe, il se caractérise d’emblée comme médiation entre différentes réalités. C’est un paysage offert au regard, un lieu d’existence et de travail, c’est aussi une réalité dévoilée à travers des produits à la sensibilité exercée des amateurs. Lieu unique, lieu clos, en même temps que signature ou identité d’un produit, le terroir se donne toujours comme une chose d’exception, dont les lignes de perspective pour le penser sont : l’enracinement et le dévoilement. Le terroir n’est pas une réalité brute, c’est ce qui le distingue de la terre, il représente dans sa complexité un système, qui conjugue l’environnement, le ciel, les planètes le climat et les caprices de la météorologie. En outre, il enveloppe l’homme qui travaille la terre et son milieu social. Le terroir est une terre peuplée d’hommes portant le poids de leurs traditions et de leurs coutumes. Le terroir est une terre travaillée et adaptée à l’élaboration d’un vin. Il y a pourrait-on dire deux corps du terroir : le corps laborieux du vigneron et le corps percevant du dégustateur qui saisit et reconnaît le terroir dans le vin. Ces deux corps conspirent à définir la relation de l’homme avec l’environnement comme une habitation du monde et une adaptation à la réalité naturelle. Le terroir est donc à la fois un lieu de travail et un objet d’initiation de nos sens. La reconnaissance de la forme « terroir » dans un produit est analogue à la perception de la beauté dans une oeuvre, car il n’existe pas de concept, ni de formule scientifique, pas plus chimique que géologique, pour expliquer le terroir, mais il s’inscrit dans la perspective d’une certaine éducation du goût comme s’il existait un « sens commun » du terroir.

Le terroir : une façon de comprendre le Monde

Le terroir est tout d’abord un lieu limité où se célèbre le mariage de l’action humaine « facere » et de l’action naturelle « agere », pour reprendre les verbes latins. La fécondité de l’ « agere » transparaît au sein même du « facere », comme s’il existait une générosité de l’être, une sorte de récompense de la nature aux soins que l’homme lui apporte. Mais outre cette générosité, l’ « agere » est irréductiblement présent dans le produit élaboré. Le produit de terroir est enraciné dans son lieu de naissance, il est tributaire d’un environnement et d’un climat, il n’est pas le seul résultat du vouloir et de l’effort humain. Il véhicule une causalité du monde qui n’a pas été arraisonnée par la technique. Il reste donc dans le produit élaboré une part de donné et de fatalité, comme si le vigneron dans ses actes était condamné à être exposé à l’action de l’environnement naturel. On ne peut penser le terroir sans l’inscrire dans la lecture heideggérienne de la technique conçue comme un mode de dévoilement du monde. Toutefois ce dévoilement des attaches du produit à son lieu et à ses racines, suppose une épaisseur de temps d’apprentissage, d’initiation et de transmission. Ce qui est dévoilé c’est un certain mode d’être dans le temps. Dans le travail tout d’abord qui atteste d’une étroite liaison entre le temps qui passe et le temps qu’il fait, par la médiation des gestes, inscrits sur un calendrier qui est comme une liturgie du terroir. De la taille à la vendange, il y a un temps pour chaque geste, lui-même relatif aux saisons et à la météorologie. Outre cette liturgie vigneronne, il y a une culture de la transmission des savoirs et des savoir faire, toute imprégnée de mémoire, héritage lointain d’un autre temps et d’un autre rapport de l’homme avec le monde que celui de notre présent qui résume la nature à une somme de lois physiques et chimiques et soumet le réel à la toute puissance de notre efficace technicienne. Habitation et arraisonnement pourraient apparaître ici comme les emblèmes de ces approches contradictoires de la technique. Habiter, signifiant ouvrir dans le temps d’une tradition, un horizon de sens, auquel est réceptif le dégustateur initié, lui-même héritier d’une certaine culture. Le terroir est donc le fruit d’une étrange connivence entre le corps laborieux du vigneron et le corps percevant de l’amateur de vin. Dans l’ordre de la perception, la typicité du terroir s’appréhende comme une forme, c'est-à-dire une totalité organique et non une simple somme d’éléments ou de caractères. Il y a donc une perception transversale du terroir que se fait dans toute l’épaisseur du produit, elle implique une synesthésie de la vision, de l’olfaction et du goût. L’appréhension du terroir est transversale et multi sensorielle, elle ressortit à l’équilibre général du vin et non à l’un de ses caractères isolé.

Le terroir s'oppose à l'universalité

Si le terroir est un lien, c’est un lien qui attache l’homme à son travail et relie les générations dans la transmission des savoirs. Musique et cuisine se peuvent dire de terroir, dans la mesure où une tradition régionale apporte un éclairage particulier sur les pratiques et les usages. Le terroir est donc ce qui réfère à un lieu avec ses limites et à une épaisseur de temps, une dynamique de transmission. Cette dimension d’enracinement oppose le terroir à l’universel et aux prétentions universalistes de la pensée, pourtant c’est moins à l’idéal de la philosophie des lumières, qu’à la puissance mondialisatrice d’une économie dévastatrice des identités que résiste aujourd’hui le terroir. Cette vertu de résistance du terroir à l’espace mondialisé du commerce, ouvre aujourd’hui une perspective de sens pour l’acte de consommation, qui ne consiste pas seulement à satisfaire un plaisir dans l’immédiateté, mais à exercer notre sensibilité à reconnaître l’identité et les racines de ce que nous consommons. Cette autre relation fait du consommateur un amateur, ou un initié, c’est à dire quelqu’un qui apprend, qui exerce sa sensibilité et qui aime transmettre. Dans un univers de commerce où circulent les personnes et les biens, dans cet espace de communication dépourvu de toute épaisseur de temps, les produits de terroir apparaissent comme des exceptions à la règle qui veut que n’importe quel bien de consommation peut être produit et consommé n’importe où, dans n’importe quelles conditions. Dans cet espace neutre de la mondialisation du commerce, espace sans lieu et sans racines, débarrassé du poids du temps et de la médiation ; l’initiation, le terroir et ses produits apparaissent comme un anachronisme. Les appétits du consommateur moderne recherchent des caractères de plus en plus simples, flatteurs et clinquants, des traits immédiatement repérables et appréciables, pour celui qui n’a aucune culture du vin. La désertion progressive des vins de terroirs au profit des vins de cépage, des vins tendance ou des vins créatifs, s’accompagne d’un appauvrissement de la capacité du consommateur à apprécier la complexité du vin. Les vins en désertion de terroir sont sans doute en train de perdre ce qui fait le sens même du vin, qui le rapporte à des racines et à cette capacité de dévoilement et d’expression d’un lieu de naissance, chargé d’une histoire viticole. A mesure que les sens du consommateur s’étiolent, ils perdent leur référence à cette culture qui établissait des hiérarchies entre les produits, il perd sa dimension médiatrice d’objet de culture chargé d’une symbolique pour n’être qu’un objet indifférent de satisfaction immédiate, aisée et individuelle.

Que penser de cette pérennité du terroir ? Faut-il y voir une marque d’inadaptation de la viticulture française à un marché mondialisé qui apparente le vin à n’importe quelle autre marchandise, ou bien une saine résistance et un ultime refuge pour une activité économique appariée à une culture millénaire qui sans cette identité des terroirs serait concurrencée et vite balayée par une industrie mondiale du vin qui ne cesse de se développer ?

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