l a été l’ennemi à abattre. Cette année, les pépiniéristes ont dû s’armer lourdement contre le mildiou et, pour certains, plus que jamais. À l’instar de Jean-Pierre Bouillac, gérant des pépinières du Vieux Puits, à Reignac, en Gironde. « J’ai 60 ans et je n’ai pas en mémoire d’avoir connu une telle pression, raconte-t-il. Du 20 juin à la fin juillet, il a fallu traiter jusqu’à deux fois par semaine. » Plus tard, en août, la sécheresse a limité la pression. En dehors d’un petit pourcentage de perte, sa pépinière est sauvée. Mais, assure-t-il, « on a gagné grâce aux CMR. C’est illusoire de croire qu’on aurait pu s’en passer ».
Son collègue Daniel Barra, gérant des pépinières viticoles Leix, à Vélines, en Dordogne, partage cet avis. « Cette année, on s’en sort avec un traitement tous les cinq jours depuis début juin et parce qu’on utilise des produits systémiques. Si j’avais traité au cuivre et au soufre, j’aurais dû passer tous les deux jours. » Début septembre, sa pépinière a belle allure, mais il ne s’estime pas au bout de ses peines. « On va devoir traiter jusqu’à l’arrachage en novembre, car on a régulièrement du brouillard la nuit qui crée de l’humidité favorable au mildiou. »
En Ardèche, Mathieu Thibon a traité une fois par semaine au Valiant (association de fosétyl-Al, de folpel et de cymoxanil), dès le 10 mai et jusqu’au 15 août. Après cela, il est passé à la bouillie bordelaise. « Le Valiant est censé protéger pendant 12 jours, mais pour un pépiniériste, se protéger du mildiou est vital, car le jeune plant en début de croissance peut être détruit à 100 %, souligne le gérant de la pépinière Thibon & fils, à Saint-Maurice-d’Ardèche. C’est la raison pour laquelle j’ai accéléré la cadence. »
Dans le Vaucluse, Thierry Gontard n’a pas été épargné non plus, tant s’en faut. Il rapproche cette attaque de mildiou de celle de 2018, particulièrement violente. « De début juin au 14 juillet, nous avons augmenté les cadences en traitant tous les 8 jours au lieu de 14, en jonglant avec plusieurs matières actives dont des CMR, témoigne le gérant des pépinières Gontard Frères, à Aubignan. Cela a permis d’éviter les dégâts. » À peine remis de ses inquiétudes, il a aussi dû irriguer plus souvent, cette fois en raison de la canicule. « Au lieu d’irriguer deux fois par semaine comme prévu, nous avons dû pendant les dix premiers jours d’août arroser les plants tous les deux jours. »
Mais s’il a tenu la dragée haute au mildiou et à la canicule, Thierry Gontard a perdu la partie face au mistral. « C’est notre bête noire. Nous l’avons subi pendant une semaine début mai, sur les cinq semaines que dure la plantation. Sur les plants mis en terre pendant le mistral, nous n’avons que 40 % de taux de reprise, c’est 20 % de moins que sur les autres. Car le mistral déshydrate le cal au niveau de la soudure et il affaiblit la plante. »
Début septembre, le plus dur était passé pour les différents pépiniéristes cités. Mathieu Thibon estime même détenir une des plus belles pépinières qu’il ait eues depuis ses débuts auprès de son père et de son grand-père. Avec 3 500 000 plants en terre, il pense « avoisiner 65 % de taux de réussite, se réjouit le jeune pépiniériste de 30 ans. Les années précédentes j’étais autour de 55 % ». Il précise qu’en dessous de 45 % de réussites, la pépinière est difficilement rentable, compte tenu du coût des intrants et de la main-d’œuvre. Pour lui, et son père avant lui, « la pépinière se joue chaque année comme une partie de poker. Il faut faire preuve d’audace dans le choix des cépages, dans les quantités, et un peu de chance avec la météo ».
Depuis quelques années, les Thibon bravent le risque de gel en plantant tôt, « dès le 10 avril, avant les saints de glace. Par crainte d’avoir des températures trop élevées au moment de la plantation, ce qui est préjudiciable aux soudures des greffes sur les jeunes plants, comme nous l’avons expérimenté en 2022. »
Daniel Barra, lui, évalue à 60 % son taux de réussite, contre 70 à 80 % en moyenne les années précédentes. « Cela représente environ 20 % de perte de récolte, tout en ayant doublé les coûts de traitement », souffle-t-il.
Pour Jean-Pierre Bouillac, les coûts de traitement vont aussi peser le double d’une année ordinaire. « Un traitement nous coûte environ 120 €/ha, tout compris avec la main-d’œuvre, établit le pépiniériste. Cette année, on va compter autour de 25 passages, sur 18 ha de pépinière. C’est énorme, quand on sait qu’on vend un plant de rouge 1,50 € dans le Bordelais, et un ugni blanc 2 € à Cognac. » Obligé aussi de s’adapter concernant la main-d’œuvre. « On s’est débrouillé en cumulant les heures supplémentaires. Car un tractoriste, ça ne se trouve plus. » Thierry Gontard a également jonglé avec ses salariés pour les traitements et la rotation des arrosages, laquelle a mobilisé deux salariés supplémentaires. Des chiffres qui ne poussent certes pas à l’optimisme.
Autre fait marquant, cette année : la recrudescence de la demande en cépages blancs. « Il s’en est greffé beaucoup plus que d’habitude », confirme Mathieu Thibon. De son côté, à partir du 15 août, Thierry Gontard a vu « tous ses vermentinos, clairettes et grenaches blancs déjà réservés ». En Gironde, Jean-Pierre Bouillac a aussi diminué les rouges au profit des blancs. « Par rapport à 2019, j’ai baissé de 25 à 30 % la quantité globale de mises en terre de rouges, destinés à mes clients bordelais. » La demande de cépages résistants augmente également, dopée par un millésime à mildiou. « On en fait de plus en plus, surtout des voltis et des floréals, qui ont du succès, livre Thierry Gontard. L’avantage est qu’on a eu à les traiter seulement une fois sur deux contre le mildiou, soit tous les 14 jours. » Tranquillement.