La meilleure réponse au changement climatique est de choisir des porte-greffes ayant un système racinaire plongeant et qui apportent de la vigueur », lance Jean-François Barnier, président des Pépiniéristes producteurs du Comtat, un groupement de producteurs basé dans le Vaucluse. Pour ce pépiniériste, cette réponse, c’est le 1103 Paulsen qui l’apporte. « S’il y a un porte-greffe qui prend de l’ampleur dans le Sud, c’est le 1103 P. Sa vigueur lui permet de résister même en cas de chaleur. La surface foliaire qu’il fournit est un atout pour assurer la photosynthèse », indique-t-il.
Son collègue Pierre-Marie Guillaume, de l’entreprise éponyme en Haute-Saône, complète : « Les pépiniéristes disposent d’un socle solide d’une dizaine de porte-greffes qui peuvent s’adapter à toutes les conditions de climat et de sols. » Dans cette liste, pour faire face aux nouvelles conditions climatiques, il retient avant tout le 110 Richter : « Le géotropisme de son système racinaire est impressionnant. Il plonge à la verticale en descendant à plus de 2,50 m, à condition de ne pas créer un horizon compact à la plantation. Si le 110 R convient bien aux sols secs et maigres, le 1103 P se comporte mieux dans les sols argileux. Il freine la maturité et tolère la salinité, comme le SO4 d’ailleurs. Cette problématique ne concerne encore que de rares zones dans le Languedoc, mais pourrait progresser en raison de la diminution de la pluviométrie. » Enfin, dans les sols superficiels et calcaires, Pierre-Marie Guillaume suggère le 140 R, voire le 5 BB, un porte-greffe au système racinaire puissant, « intermédiaire et plus passe-partout ».
Actif sur tout le pourtour méditerranéen, le groupe Velletaz estime qu’il est déjà sur « une gamme de porte-greffes qui affichent une bonne résistance à la sécheresse ». Il continue lui aussi à miser sur le 110 R. « Il a toujours été le roi ; il le restera. Il domine dans les nouvelles plantations car c’est le plus régulier en comportement et en rendement », affirme Sébastien Velletaz, gérant de l’entreprise. Pour les complants, ce dernier conseille le 1103 P et le 140 R en raison de leur vigueur. Il remet également en avant le Rupestris du Lot. Pour Sébastien Velletaz, ce porte-greffe à la vigueur élevé a été décrié à tort pour provoquer de la coulure sur le grenache. Sauf qu’aujourd’hui, « la sélection clonale a bien avancé : on a des clones moins sensibles à la coulure ». Peut-on améliorer davantage la tolérance à la sécheresse par le choix du porte-greffe ? « Impossible si on ne passe pas par l’innovation variétale », juge-t-il.
« Il n’y a pas de porte-greffe miracle ! », enchaîne Denis Poublan, responsable commercial de VCR pour la Nouvelle-Aquitaine et l’arc méditerranéen. Le top six de la production de ce pépiniériste a peu évolué depuis dix ans. Il comprend toujours le SO4, le 110 R, le 140 R, le 1103 P et les M2 et M4 obtenus avec l’Université de Milan. « En ajoutant le 3309 C, le Gravesac et le Fercal, nous disposons d’un large portefeuille pour répondre aux besoins de tolérance à la sécheresse, de vigueur et de précocité en fonction du terroir et de l’objectif de production de nos clients. Je crois beaucoup au M4 qui résiste très bien à la sécheresse comme à la salinité. Mais, cette année, c’est le 110 R qui nous met en alerte. À la suite d’un hiver sec, des vignes ont arrêté leur croissance dans la plaine du Roussillon alors que ce porte-greffe est réputé tolérant à la sécheresse », explique-t-il.
Dans le Bordelais, le changement est en marche. « Le 110 R monte en puissance pour sa profondeur d’enracinement, notamment dans les sols graveleux et profonds : il est passé de 0 à 10 % de mes greffages, évalue Jean-Pierre Bouillac, gérant de la Pépinière du Vieux Puit, en Gironde. Il prend souvent le relais du Gravesac. Ce n’est sans doute qu’un début. Dans les sols pauvres, le 1103 P peut apporter des réponses satisfaisantes. Dans les zones argilocalcaire asséchantes de Saint-Émilion ou de Saint-Estèphe, le choix se restreint au Fercal et au 420 A. Je recommence aussi à greffer du 44-53 Malègue, abandonné en raison de sa sensibilité à la carence en magnésie, mais qui résiste bien à la sécheresse sans être trop vigoureux. Je crois beaucoup au 333 EM : il résiste bien au calcaire et à la sécheresse, tout en étant plus vigoureux que le 41 B. Ce porte-greffe est déjà largement utilisé dans les Charentes. Il est déjà dans le coup par rapport à la sécheresse. Le Rupestris du Lot s’y fait une place. Marié à de l’ugni blanc, c’est un bon choix : productif et sans coulure. Il représente 5 % de mon greffage. »
Jean-François Barnier constate lui aussi une évolution de la demande dans le Bordelais : « Il y a dix ans, on nous demandait du 3309 C et du 101-14. Aujourd’hui, c’est du 110 R, du 1103 P et toujours du SO4. Ajoutez-y le Fercal, et vous avez nos quatre porte-greffes majeurs actuels. Vigoureux, ils préservent le rendement et la fraîcheur des vins car ils retardent la date des vendanges. Il ne s’agit pas d’avoir une vigueur outrancière, mais il faut quand même avoir de la production. Mieux vaut faire envie que pitié. Il faut toujours avoir en tête qu’il est plus facile de couper des raisins que d’en ramener ! Comme il s’agit de maintenir le cap sur des années, c’est une erreur de partir sur des porte-greffes faiblards. » Autres temps, autres conseils !
Depuis 2015, l’Inrae évalue les interactions entre 55 porte-greffes – 30 français et 25 étrangers – et cinq cépages sur son site de La Grande Ferrade, à Villenave-d’Ornon. C’est le dispositif Greffadapt. En 2022, cette parcelle a connu sa première année sèche alors que le système racinaire des vignes était adulte. Pour évaluer l’impact de cette sécheresse, les chercheurs ont noté l’intensité de la défoliation et le rendement de leurs différents assemblages. À leur surprise, « le cabernet-sauvignon greffé sur des porte-greffes décrits comme non tolérants à la sécheresse comme le Riparia Gloire de Montpellier, le 101-14 MGt et le 3309 C s’est bien comporté avec une défoliation moindre que les plants greffés sur des porte-greffes réputés résistants tels que le 140 R, le 110 R et le 1103 P. De plus, les premiers ont porté 1,5 kg de raisins par souche en moyenne contre 1 kg pour les seconds. Enfin, aucun plant n’a vraiment perdu de feuilles de façon très importante. Le résultat positif est, qu’à rendement modéré, les porte-greffes actuels ont montré un comportement satisfaisant », indique Elisa Marguerit, enseignante-chercheuse en viticulture à Bordeaux Sciences Agro. De nouvelles observations ont eu lieu cette année.