’est l’arroseur arrosé. En voulant prohiber la vente de boissons alcoolisées à distance et leur livraison aux consommateurs en Suède, le monopole suédois Systembolaget vient de confirmer la légitimité de ce commerce. C’est en tout cas la teneur de la décision rendue le 7 juillet par la Cour Suprême du pays, qui autorise la société danoise Winefinder à poursuivre ses opérations, conformément à l’arrêt Rosengren, à la réglementation suédoise sur l’alcool et à la législation européenne en vigueur.
« Nous sommes extrêmement heureux et soulagés que la Cour Suprême ait constaté que le commerce électronique de vin de qualité que Winefinder ApS opère depuis 2007 est conforme à la législation suédoise et à la législation européenne en vigueur », confie Alex Tengvall, propriétaire principal et président du conseil d’administration de Winefinder ApS. Tout a commencé en 2019 lorsque Systembolaget a décidé d’intenter une action en justice contre la société, fondée au Danemark en 2005. « Pour être honnête, nous étions très surpris parce qu’il avait été rendu très clair que l’on pouvait, depuis d’autres pays européens, commercialiser des boissons alcoolisées auprès de clients suédois, qui ont le droit, par exemple, d’acheter du vin auprès d’un domaine en France et se le faire livrer en Suède. Dès lors qu’on paie les taxes qui sont dues, c’est autorisé ».
Si les dirigeants de Winefinder, qui gère également une boutique de vins au Danemark, étaient confiants d’être dans leur bon droit, ils s’étonnent de l’attitude du monopole suédois : « Nous sommes une très petite entreprise et j’ai l’impression que Systembolaget ne pensait pas qu’on irait jusqu’au bout de la procédure », estime Alex Tengvall, dont l’entreprise s’est spécialisée dans les vins de Bordeaux qu’elle achète auprès de nombreux négociants. « Pour nous, cette décision ne change pas grand-chose dans la manière dont nous opérons, mais elle confirme à 100% que les consommateurs suédois, s’ils avaient un doute, peuvent acheter en toute légalité des vins, bières et spiritueux dans un autre pays membre de l’Union Européenne et se les faire livrer chez eux ».
Pour Alex Tengvall, la décision de la justice suédoise « est une belle victoire pour nous et pour l’ensemble du commerce légal à distance en Europe »
La décision de la Cour Suprême intervient à un moment charnière pour des monopoles comme Systembolaget et pourrait inciter, non seulement d’autres entreprises européennes à emboîter le pas à Winefinder, mais également d’autres types de commerce à s’enfoncer dans la brèche. « Il y a beaucoup de brasseries locales qui veulent pouvoir commercialiser leurs produits sur place, dans leurs installations. Idem pour les petits vignobles qui se développent dans le sud de la Suède. C’est déjà autorisé en Finlande et je pense que d’ici deux ans cela le sera en Suède, fragilisant un peu plus Systembolaget ». Ce qui fait dire à Alex Tengvall que « le monopole sera sans doute fort encore pendant dix ou vingt ans, mais après, il aura du mal à continuer à exister ». Pour l’heure, peu d’entreprises peuvent rivaliser avec cet acheteur géant : « Environ 60 % des vins commercialisés par Systembolaget le sont en bag-in-box, pour un prix moyen de l’ordre de 12 euros l’équivalent de 4 bouteilles. Il est difficile de rivaliser avec ce niveau de prix. Donc, je pense que le monopole continuera à dominer sur les gros volumes, mais pour les petits producteurs, des entreprises comme la nôtre offrent une alternative ».
Pour les consommateurs suédois, aussi, la coexistence des deux modèles semblent être une formule gagnante-gagnante. « Tous les mercredis ou jeudis, les clients de Systembolaget se rendent dans les magasins pour faire leurs emplettes. C’est presqu’un rituel ou une religion. Mais pour les vrais amateurs de vins, l’offre proposée n’est pas très intéressante ». Reste à savoir comment le monopole réagira désormais face à la décision de justice. « Ils ne peuvent plus faire grand-chose. Désormais la balle est dans le camp des politiques. En 2007, ils ont essayé d’opérer une refonte de la loi. Cela a échoué, mais ils essayeront de nouveau. Mais au final, la position du monopole est délicate : lorsqu’on vend 60% de ses vins en gros format, peut-on justifier son rôle de défenseur de la santé publique ? »