rnaud Briday s’en passerait bien. Pour le gérant du Domaine des Chers, 11,5 ha à Juliénas, dans le Rhône, l’obligation de l’étiquetage nutritionnel est une atteinte au vin, « élément culturel, historique et patrimonial français ». De plus, cette « contrainte supplémentaire pour les vignerons » ne présenterait que peu d’intérêt pour le consommateur. « Le buveur averti sait déjà ce que contient le vin. Quant au consommateur occasionnel, je ne suis pas convaincu qu’il s’en inquiétera, justement parce que c’est occasionnel dans son alimentation », argumente-t-il.
L’avis d’Anne Josseau est encore plus tranché. « Je trouve cette mesure idiote. Avant d’acheter une pizza, j’apprécie de pouvoir comparer si l’une est plus grasse que l’autre, car la valeur nutritionnelle peut varier au point d’impacter ma santé. Mais sans être fin connaisseur du sujet, chacun sait que le vin contient du raisin fermenté et, dans certains cas, du sucre. Je ne crois pas que les consommateurs veuillent se donner la peine d’aller chercher la valeur nutritionnelle des vins dans leur téléphone. À part peut-être quelques-uns d’entre eux, par curiosité », assène la gérante du Domaine des Tabourelles, 20 ha à Bourré (Loir-et-Cher), dans l’appellation Touraine Chenonceaux.
À Auch, dans le Gers, Sébastien Lopez est moins vindicatif mais tout aussi dubitatif au sujet de l’intérêt de l’étiquetage nutritionnel. Gérant du Domaine du Tucoulet, il vend toute la production de ses 4 ha de vignes directement au consommateur, dans son caveau et, deux fois par semaine, sur les marchés d’Auch et de Pavie. Aucun de ses clients ne s’intéresse aux ingrédients ni aux calories de ses vins. « On discute naturellement de la qualité des vins, mais les ingrédients ne sont tout simplement pas un sujet. Il est vrai que mes clients ont plutôt dans les 60 ans et qu’ils boivent du vin depuis des dizaines d’années sans que cela ne leur ait jamais provoqué de maladie. »
L’avis est différent chez Ampelidae, où la réforme de l’étiquetage est vue comme une opportunité de se rapprocher du client. À la différence du domaine du Tucoulet, Ampélidea n’écoule qu’une petite partie de la production de ses 115 ha, sur place, à Jaunay-Marigny, dans la Vienne. « Nous vendons principalement en grande distribution à l’export et auprès des CHR [cafés, hôtels, restaurants, NDLR] et de magasins spécialisés en France, comme Biocoop », indique Gilles de Bollardière, le directeur technique. La maison n’a donc pas l’occasion d’expliquer sa démarche auprès du consommateur. « De ce fait, nous voyons l’obligation de l’affichage nutritionnel comme un outil de communication supplémentaire, susceptible de nous rapprocher de nos consommateurs à l’autre bout du monde. En grande distribution, quand ils se trouvent face à des dizaines de vins différents dans un rayon, ils ne vont pas prendre le temps de visiter notre site internet. C’est donc via l’étiquette que se fera la sélection, de façon synthétique. »
Pour Gilles de Bollardière cette nouvelle obligation paraît « légitime, si elle permet de restaurer une confiance entre le vigneron et le consommateur ». Passé sa première réaction négative, Arnaud Briday concède « avoir une vision de vigneron, probablement restrictive. Tous les autres produits alimentaires ont déjà l’obligation d’indiquer les ingrédients et la valeur nutritionnelle. Alors c’est peut-être justice d’en faire autant avec le vin ».
« Ce qui inquiète le plus les vignerons, c’est de devoir afficher la valeur énergétique sur l’étiquette physique, car le consommateur aura sous les yeux, sans même avoir à flasher, une valeur facilement comparable d’une bouteille à l’autre », relève Florence Gras, consultante œnologue à l’IFV, pour l’avoir constaté lors des formations qu’elle a réalisées autour de la réforme de l’étiquetage depuis janvier dernier. « Selon qu’on fait un vin blanc sec, un rouge à 14 degrés d’alcool, ou un vin blanc doux de type muscat qui contient 12 degrés d’alcool et 110 g de sucre, la différence est notable ! » De quoi faire biper le radar des chasseurs de calories.