Je n’ai rien eu, j’ai surtout eu très peur. » Didier Barthes s’en sort bien cette nuit de vendange 2022 au Domaine des 3 Angles, au nord de Béziers, dans l’Hérault. À bord d’un Optimum 5060 de Pellenc, ce salarié enchaîne les rangs de vigne. Il est 4 heures du matin. Il tourne depuis une heure quand, arrivé en bout de rangée, dans une fourrière courte, il se rend compte qu’il est sur le point d’entrer dans une rangée déjà vendangée : « Je recule, mais une roue arrière arrive dans le fossé. Il est déjà trop tard quand je comprends que j’ai trop reculé. La machine à vendanger bascule et se stabilise. Il y a trop de poids sur l’arrière. Impossible de repartir. Le bas de l’échelle d’accès est au niveau de mes épaules ! »
Plus de peur que de mal, Didier Barthes n’a pas été blessé. Mais le temps presse. Il faut essayer de remettre la machine sur ses quatre pattes. Heureusement, la parcelle de merlot est sèche. Le tracteur fruitier New Holland 4050 de 95 ch de l’exploitation vient tirer la MAV. Il sautille un peu puis remet la MAV droite. Cette dernière est remise sur ses quatre pieds grâce notamment au contrôle du dévers droit et gauche. Le chantier reprend.
Plutôt sûr de lui, Fabien Garcia dit connaître les pièges de la conduite en tracteur. « Je suis très attentif en coteau, explique ce viticulteur de Montbrun-des-Corbières, dans l’Aude. Mais je fais moins attention sur le plat. Reste que, dans les deux cas, j’ai connu des accidents. L’un est arrivé en entrée de vigne. C’était en 2012. Je portais un cultivateur d’une tonne et je n’ai pas vu une marche en montant le chemin d’accès. L’avant s’est levé et le tracteur s’est couché. Le deuxième accident est arrivé il y a plus de vingt ans dans une fourrière courte. C’était au broyeur, j’ai mal apprécié la manœuvre en sortie de rang près d’une grosse souche basse. Je me suis renversé à 2 km/h ! Dorénavant, j’ai des tournières plus grandes, il y a moins de risques. »
« Tout le monde y est passé au moins une fois », relativise Fabien Garcia. « C’est presque normal, surtout en coteau. Le plus souvent, c’est à cause de fausses manœuvres ou de petits pièges. C’est ce qui m’est arrivé et la cabine m’a préservé. Je ne portais pas la ceinture. En général, on ne tombe pas vite. Le vrai danger, c’est le retournement complet et la projection. Je le sais, mais je ne porte jamais la ceinture pour autant. »
Didier Barthes a un patron compréhensif. « Ça arrive, m’a-t-il dit. Il sait que je suis attentif et bon mécano. Cette bascule de MAV, c’est une erreur d’inattention. Même de jour, avec une caméra, on ne voit pas les fossés. J’ai mal apprécié la distance entre le piquet de tête et la machine. Pourtant, je sais que c’est court, même en tracteur. »
Didier Barthes a eu d’autant plus de chance qu’il ne portait pas, lui non plus, la ceinture de sécurité. « Je l’ai mise lorsqu’il a fallu redresser la machine et je me suis agrippé au volant. On entend souvent dire que la ceinture ne sert à rien, qu’on a le temps de s’éjecter par la porte. Mais les portes des cabines modernes sont très lourdes. Je pense que je n’aurais pas le temps de sauter en cas de retournement. »
Heureusement, Didier Barthes et Fabien Garcia sont sortis indemnes de leurs accidents. Mais ça ne reflète pas toujours la réalité. « Il y a une dizaine d’années, un voisin vigneron, qui avait 20 ans, s’est renversé en machine à vendanger, raconte Fabien Garcia. Il est tombé dans un talus de 3 m de profondeur. Il n’a pas été blessé mais il a été choqué durablement. Depuis son accident, il refuse de grimper à nouveau dans une machine à vendanger. Il paie un chauffeur en Cuma pour la récolte. » Les drames physiques cachent souvent les traumatismes psychologiques, moins bien évalués. Au mieux, ils sont fondus dans les arrêts de travail. En 2021, 216 accidents de tracteurs par des conducteurs salariés ou non salariés ont nécessité un arrêt de travail, soit 8 accidents sur 10.
251 accidents de tracteur ont été recensés par la MSA pour l’année 2021 en viticulture, dont 159 pour les salariés et 92 pour les non-salariés. Des chiffres devenus stables ces dernières années et qui ont diminué par rapport au début des années 2000 quand la moyenne se situait plutôt autour des 400 accidents de tracteur par an. Même tendance pour le nombre de jours d’hospitalisation, qui passe de 759 en 2004 à 92 en 2021. Le nombre d’accidents graves non mortels a également tendance à baisser depuis le début des années 2000, passant d’une quarantaine en moyenne en 2004-2005 à une vingtaine en 2020-2021. Le nombre de décès ne figure pas dans les chiffres qui nous ont été donnés. Par type de machines, les accidents en tracteur interligne sont ultra-majoritaires avec 227 des 251 accidents recensés en 2021. Cette année-là, il y en a eu 13 à bord d'un enjambeur ou d'une machine à vendanger, et 10 en chenillard.