Je suis inquiet. Je n’ai pas d’information sur le prix auquel nous seront payés les vins mis en distillation ni sur le démarrage de la campagne. C’est pareil pour l’arrachage primé. Je n’ai pas d’informations sur les fonds mis à disposition. Or mon plan de redressement tient compte de l’arrachage primé et de la distillation. Sans cela je coule » répète Jean- François Chaloupin, viticulteur de l’Entre-Deux-Mers, à la tête du château Bieujac La Croisette, 22 ha en AOC Bordeaux.
Ce dernier a fait ses calculs : la distillation de 700 hl (deux ans et demi de récolte de vin non vendu qui reste dans le chai) ramènerait 25 000 €. Quant à la prime d’arrachage, il espère 6000 €/ha. « C’est ce qui devrait me sauver » répète-il. Sachant que sa décision est prise : il veut arracher 10 ha sur les 22 ha. Et engager un projet de reconversion en dédiant ces terres à des céréales.
Des montants dont il ne peut se passer : « J’ai de l’encours sur du matériel, sur des véhicules. Soit 45 000 euros par an sur douze ans ». Dans un premier temps, la banque l’a accompagné dès 2021 avec notamment des reports de trésorerie. Un an plus tard, elle coupe les robinets. Il faut tout repenser et faire autre chose laisse-t-elle entendre.
Pourtant tout se déroulait sous les meilleurs auspices. Sur 22 ha, la production de 10 ha soit 500 hl de Bordeaux rouge est écoulée en direct avec l’enseigne Intermarché. Un partenariat installé depuis 1998, au moment où Jean-François Chaloupin rachète la propriété qui ne faisait que du vrac. Il crée la marque château Bieujac la Croisette et noue un partenariat avec l’enseigne. Il réalise la mise en bouteille au château et livre 36 magasins Intermarché, notamment sur la grande Aquitaine. La récolte des hectares restants (700 hl) est écoulée par le biais de trois négociants.
C’est en 2017 que les choses se gâtent. Le gel touche 70% de la récolte. Avec un volume moindre, le viticulteur est obligé de cesser d’alimenter huit magasins dans la Creuse et en Région Parisienne. « Je n’ai jamais pu reprendre ses marchés. Mes interlocuteurs s’étaient fournis ailleurs. J’ai perdu ainsi 40 000€ sur mon chiffre d’affaires » lâche-t-il.
Autre élément : la chute des cours du vrac : « En 2019 le seuil de rentabilité était à 920€ le tonneau. Aujourd’hui on est à 650 € » indique-t-il. Enfin le viticulteur avance une explication d’une autre nature : « On a laissé mettre sur le marché, pendant des années des vins de médiocre qualité avec des prix très bas, élaborés par le négoce. Tout le monde a fermé les yeux. Le Conseil Interprofessionnel du vin de Bordeaux en premier, alors qu’il savait ».


Pour autant Jean-François Chaloupin, 57 ans, ne se laisse pas abattre : « On a décidé de relever la tête et d’anticiper en se diversifiant ». Celui qui est aussi céréalier (143 ha) n’est pas seul : il sait qu’il peut compter sur son fils Harrisson qu’il est en train d’installer sur la propriété. Le père et le fils n’ont pas hésité à jouer la carte de la diversification.
Sous la houlette d’Harrisson, une activité BIB a été mise en place et ce depuis trois ans. Du Bib en circuit court. 200 hectos pris sur le vrac viennent alimenter des BIB en Bordeaux rouge, sous la marque « La Petite Croisette », vendus à la propriété. Une petite diversification non négligeable qui rapporte 2000 € par mois.
Aujourd’hui les dettes de la propriété s’élèvent à 120 000 € (encours banque et fournisseurs). Alors Jean-François Chaloupin espère que la venue du ministre de l’Agriculture à Bordeaux lundi 5 juin sera le signe de bonnes nouvelles et donnera enfin « un calendrier, une méthode, des éclaircissements » pour la mise en place de l’arrachage primé et de la distillation.