evant être promulguée d'ici début avril*, la proposition de loi pour Sécuriser l'approvisionnement des Français en produits de grande consommation doit marquer un tournant dans les négociations annuelles entre grande distribution et fournisseurs (du premier décembre au premier mars). Très discuté, son article 3 pose une nouvelle donne assumée explique le porteur du texte, le député Frédéric Descrozaille (Val de Marne, Renaissance). « Avant cette loi, en cas de non-accord au premier mars le contrat était réputé rester en vigueur (sauf dénonciation unilatérale). En période de stabilité des prix, c'était acceptable, même si cela a coûté des milliards à l'industrie agroalimentaire. Mais avec les hausses actuelles de prix, cela profite au distributeur, le fournisseur étant obligé de répondre aux commandes. S'il arrêtait les livraisons, l'affaire pouvait être portée devant le juge des référés et prendre des mois » explique le parlementaire à Vitisphere.
Désormais en cas de désaccord sur les prix, le fournisseur pourra décider de ne plus reconduire le contrat sans qu'il n'y ait de conséquences. « C'est la fin des relations commerciales sans que le distributeur puisse attaquer. Ce qui arrivera rarement, ne nous faisons pas peur » rassure Frédéric Descrozaille, qui y voit une façon de donner plus de poids aux fournisseurs. Car les distributeurs ne peuvent cependant pas activer ce mécanisme et dénoncer de la même manière un contrat en cas de désaccord : il leur faut poser un préavis, conformément à l'article 442-1 du Code de Commerce, sachant que le prix doit « tenir compte des conditions de marché, sans être forcément être reconduit tel quel » souligne le député.
« Nos amis de la grande distribution ont été un peu fort dans leur campagne de défense de leurs intérêts. Le projet Descrozaille a remis l'église au milieu du village » salue un opérateur de premier plan des champagnes en France. Pour les vins, cet outil pourrait permettre de rapports de force lors des prochaines négociations. Du moins s'il n'est pas retoqué par le Conseil Constitutionnel à la demande de la Grande Distribution pour rupture d'égalité. « Nous prenons un risque réfléchi et raisonnable. La jurisprudence du Conseil Constitutionnel permet une dissymétrie en cas d'intérêt général (ici l'ordre économique public) et de traitement différent de positions différentes (ici 6 distributeurs contre des dizaines de milliers de fournisseurs) » défend Frédéric Descrozaille
Soulignant que cette nouvelle étape dans la loi Egalim était attendue depuis des années par l'industrie agroalimentaire, Frédéric Descrozaille note qu'il y aura d'autres développements concernant les relations commerciales. Le député compte saisir le bureau des affaires économiques de l'Assemblée Nationale sur la possibilité donnée aux organisations professionnelles (syndicats de producteurs et interprofessions) de discuter des prix et du marché, conformément à la dernière Politique Agricole Commune (PAC) : « la PAC prédomine sur le droit de la concurrence en droit communautaire. Sur le dossier du cartel des endives, la Cour de Justice Européenne confirme cette prévalence de la volonté du législateur » pointe le député. Qui se fixe un autre objectif à terme : faire le bilan de la date butoir de la renégociation annuelle entre fournisseurs et distributeurs qui existe depuis 2008. « On va en reparler avec tous les acteurs pour faire le bilan : faut-il continuer ou changer ? Cela va prendre du temps » prévient l'élu.
* : Le délai constitutionnel étant de 15 jours après l'adoption parlementaire (ici le 21 mars au Sénat et le 22 mars à l'Assemblée Nationale).