igneron, Arnaud Courjaud l’avoue : «Sans la diversification, on serait mort». Ce coopérateur, à la tête de 100ha de vignes à Marcillac, en appellations Bordeaux et Blaye-Côtes de Bordeaux, a pris le virage il y a trois ans, alors qu’il avait 120ha. Face à l’augmentation des charges et à la baisse de la rémunération de ses apports, il s’est lancé dans la production d’asperges.
«J’avais 3ha de prairies sur des sables noirs, des terres propices à cette culture», explique-t-il. Il a alors planté 50 000griffes. Un investissement de 12 000€/ha, auxquels se sont ajoutés 100 000€ pour l’installation d’un local de conditionnement et d’une chambre froide, et 8 500€ pour l’achat d’un quad d’occasion et d’une machine à débâcher et rabâcher les sillons.
L’an dernier, Arnaud Courjaud a fait sa première récolte. Aujourd’hui, il cultive sur 12ha ses IGP Asperges du Blayais, dont 70% partent dans une coopérative. Pour écouler le reste, il fait trois marchés par semaine, de la vente directe à la propriété et passe par des Amap.
«La récolte des asperges tombe en même temps que la fin de la taille et le début des travaux mécaniques du printemps. C’est une période très intense et épuisante. Mais ce choix nous permet d’atténuer la crise viticole, de vivre correctement. La grande difficulté, c’est de trouver des cueilleurs.»
Cette année, il arrache à nouveau 4ha de vignes, 1ha pour les asperges et 3ha pour une prairie. En 2024, il arrachera 10ha pour y semer de la luzerne. Car Arnaud Courjaud s’est aussi lancé dans l’élevage de bovins à viande. Il vient de faire construire un bâtiment de 100m2 pour loger 20vaches de race bazadaise et stocker leur fourrage – un investissement de 120 000€. Et ce n’est pas tout. Le vigneron cherche un jeune cuisinier pour se lancer dans une «folie», selon ses propres termes : lancer un restaurant qui servirait des produits frais, locaux et de qualité.
La diversification ? Fondamentale selon Olivier Reumaux, propriétaire du Château Le Parvis de Dom Tapiau, 5,5ha à Camblanes-et-Meynac, en Bordeaux et Côtes de Bordeaux. «Pendant longtemps, le vin a bien fonctionné. Les viticulteurs ne voulaient pas “s’abaisser” à faire de l’agriculture», admet-il.
C’est en 2009 qu’il se lance dans le maraîchage. Sur 8ha de terres louées, il produit 45 variétés de légumes qu’il écoule soit dans la boutique qu’il a ouverte sur sa propriété, soit au travers d’Amap, d’une coop et dans la restauration collective. Le vigneron reconnaît que s’il était resté uniquement dans le vin, cette activité n’existerait plus aujourd’hui.
Olivier Reumaux (crédit photo Château Le Parvis)
«Il faut savoir s’adapter, apprendre un autre métier», relativise Olivier Reumaux. Ainsi, il n’a pas hésité à aller se former chez des maraîchers du Lot-et-Garonne. Et il a investi dans une pailleuse mécanique, une planteuse à légumes et une herse étrier pour le désherbage mécanique. Avec son épouse, son fils et leurs deux salariés, il compte faire éclore d’autres projets en 2024, sur lesquels il préfère pour l’heure rester discret.
À Coutras, Éric Bossuet, du Château Miquelet (9ha en AOC Bordeaux, 60% de vrac, le reste en bouteilles), a toujours son millésime 2022 dans le chai. Mais il peut compter sur son élevage de vaches laitières, une activité qu’il a héritée de son père. L’an prochain, son troupeau devrait passer de 50 à 70 têtes. «Le fait d’être diversifié dans l’élevage me permet de mieux gagner ma vie. J’entretiens mon vignoble, mais je ne peux pas me payer dessus», confie-t-il.
Éric Bossuet (crédit photo Bossuet fils)
Coté investissements, d’ici la fin d’année, il installera un robot de traite. Un coût de 200 000€. De plus, il a emprunté pour acheter 15ha de terres labourables (4 500€/ha) destinées à la culture du maïs pour l’alimentation des animaux.
À Caplong, Thomas Bouriane, 30 ans, coopérateur sur 15,5ha en appellation Bordeaux et Sainte-Foy Bordeaux, veut se diversifier. «Avec la chute des cours du bordeaux et le changement climatique, il y a urgence à s’adapter», indique-t-il. Avec son ami, Diego Oliverio, 50 ans, il projette de planter des oliviers. Leur business plan est bien huilé : production d’huile d’olives bio, d’olives et de tapenade, création d’un magasin de producteur à Sainte-Foy-la-Grande, partenariat avec des tour-opérateurs.
D’ici la fin de l’année, ils vont planter 300arbres sur 1,5ha appartenant à Diego Oliverio. Puis 700de plus, l’an prochain, pour atteindre 1 000oliviers sur 4ha. Et les deux compères n’entendent pas s’arrêter là. D’ici deux ans, ils veulent édifier un moulin afin de produire leur propre huile et proposer la prestation à d’autres agriculteurs. Le coût sera de 80 000€. Dans quatre ans, ils feront leur première récolte.
Gaël Vigier, propriétaire du Château Bois Noir, à Maransin, s’engouffre lui aussi dans la diversification. Après avoir subi le gel en 2017 et en 2018 puis la grêle en 2022, il vient d’arracher 16ha de ses 24ha de vignes en Bordeaux supérieur. «Ça m’a fait mal au cœur, mais je suis libéré», confie-t-il. Et le voilà parti à fond dans d’autres voies. À commencer par le tournesol, une culture économe en eau, qu’il va planter fin mars sur 15ha et vendra à une coopérative. «Je pense retirer 18 000€ à la récolte. De quoi payer mon salarié et le gasoil du tracteur», estime-t-il.
Afin de mener à bien ce nouveau projet, le vigneron a acheté un tracteur et des matériels d’occasion : 70 000€ financés sur ses fonds propres. Pour les engrais, les semences et le désherbant, il a dû dégager 10 000€. «On racle les fonds de tiroir. On se démunit financièrement, mais on n’a pas le choix.»
Gaël Vigier (Crédit photo Vigier)
D’ici deux ans, Gaël Vigier va planter 300 oliviers sur l’hectare restant, soit un investissement supplémentaire de 36 000 €. Il compte ensuite proposer à ses clients son vin et son huile d’olive réunis dans un coffret. Secrètement, Gaël Vigier se répète que lorsque la crise viticole sera loin, il pourra replanter de la vigne.