« Depuis 2016, les épisodes de gel printanier se répètent tous les deux ans. Si je ne fais rien, j'ai des parcelles où je vendange moins de 10 hl/ha. Je dois trouver des solutions », lance Emmanuel Ogereau. Voilà pourquoi ce vigneron de Saint-Lambert-du-Lattay (Val-du-Layon), au sud d'Angers, dans le Maine-et-Loire, participe depuis 2020 aux essais de protection des vignes par des voiles d'hivernage menés par la Fédération viticole Anjou Saumur. « Notre premier objectif était de vérifier si le voile produit un effet », explique Thomas Chassaing, conseiller à l'ATV 49, chargé de cette expérimentation.
Chez Emmanuel Ogereau, l'essai a lieu sur une parcelle de chenin à Beaulieu-sur-Layon. En 2021, il a gelé plusieurs nuits de suite. Au plus froid, la température a chuté à - 3,2 °C le 4 avril alors que les vignes étaient jusqu'à deux feuilles étalées. « Sous voile, nous avons mesuré en moyenne 1,4 °C de plus que dans le témoin non couvert », indique Thomas Chassaing. Après ce gel, 85 % des bourgeons ont grillé dans le témoin et seulement 12 % sous voile, et 5 % dans une parcelle voisine protégée par des bougies. Le voile a permis d'obtenir une récolte normale. « Tant que les dégâts ne dépassent pas 20 % de bourgeons gelés, il n'y a pas de différence à la vendange », explique-t-il.
Emmanuel Ogereau (crédit photo Michel Joly)
Cette année, nouvel essai. Le thermomètre est descendu jusqu'à - 5,6 °C, mais la vigne était à un stade moins avancé (une feuille maximum). Sous le voile, il fait 1,2 à 2,3 °C de plus qu'à l'air libre, selon les nuits. Si bien que les dégâts n'ont pas dépassé 5 %, contre 70 % à l'air libre.Â
Si les voiles d'hivernage apportent bien une protection contre le gel, les choses se corsent lorsqu'il s'agit de les mettre en œuvre. En 2021, l'essai a porté sur un voile P30 (polypropylène non tissé de 30 g/m2). « Nous étions six pour poser le P30 perpendiculairement aux rangs en nous le passant de rang à rang, raconte Emmanuel Ogereau. .Nous avons utilisé un voile de 7 m de large. Il s'est très bien déroulé. Pour le coincer, nous l'avons fait passer entre les fils releveurs du haut. Il nous a fallu une vingtaine d'heures par hectare pour la pose. Puis énormément de temps pour lier les bandes entre elles. Nous les avons d'abord agrafées. Mais elles se sont déchirées au niveau des agrafes. Nous avons alors pris des pinces à documents que nous avons posées tous les 15 cm. Tout cela nous a demandé 130 h/ha ! C'est long mais quand même moins qu'avec les bougies, lorsqu'il nous a fallu sortir pendant douze nuits en 2021 ! »
Emmanuel Ogereau et ses aides ont solidarisé le voile au sol en le lestant de boudins de gravier. Un arrimage pas toujours suffisant pour empêcher le vent de s'engouffrer et d'ouvrir des trous dans la protection.
En 2022, changement de tactique. Le vigneron a testé un filet tissé, large de 2 m et plus dense que le P30. Cette fois, il a posé cette protection non plus perpendiculairement aux rangs, mais dans le sens du rang, à l'aide d'un prototype de dérouleuse. Il l'a accrochée un peu comme une toile de tente aux piquets de palissage des deux rangs voisins au moyen de Sandows. Puis il a relié entre eux les voiles posés au-dessus de chaque rang à l'aide de petits Sandows et de mousquetons pour unifier la couverture. Cette installation souple a résisté à un vent de 80 km/h mais il a fallu 100 h/ha à trois personnes ? un chauffeur et deux aides ? pour la placer.
« Ce système solidarise bien les bandes entre elles, mais il faut un temps fou pour relier les filets entre eux », regrette Emmanuel Ogereau. C'est là que le bât blesse. Car outre le temps de pose, il faut compter celui de dépose. Pour le vigneron, après ces essais, « l'enjeu est de trouver un matériau efficace, recyclable, facile à accrocher au palissage et que l'on puisse poser et déposer mécaniquement pour descendre le temps de mise en œuvre vers 80 h/ha ».
Le jeune viticulteur est prêt à protéger ses parcelles isolées les plus gélives avec des voiles d'hivernage. « Le seul P30 m'est revenu à 1 625 ? HT/ha quand je l'ai acheté en 2021, mais il aurait augmenté de 1 000 ?/ha depuis, indique-t-il. On nous dit qu'on devrait pouvoir le réutiliser cinq à six ans de suite. Encore faut-il qu'il ne se déchire pas ! Pour le filet, ce serait plutôt dix utilisations. Mais comme il ajoute une contrainte sur le palissage en cas de tempête, il faut penser à vérifier la solidité des amarrages. »
Quoi qu'il en soit, la lutte contre le gel est une question de survie pour Emmanuel Ogereau. Un tel événement « remet en cause la pérennité de l'exploitation et augmente les temps de travaux. Lorsque vous perdez une récolte, il est compliqué de fidéliser la clientèle et, quand la vigne est touchée, le temps de taille double ». À terme, le domaine Ogereau pourrait couvrir 7 à 8 de ses 25 ha d'un voile. Reste à réduire le temps de mise en œuvre. Les essais de mécanisation se poursuivent.
Selon Thomas Chassaing, de l'Association technique viticole de Maine-et-Loire, comparées aux bougies, les voiles ont trois atouts : "ils reviennent moins cher, leur impact carbone est plus favorable et il n'y a pas de combustion, donc pas de fumées, souvent décriée par les voisins des parcelles. Protéger les vignes par un voile est déjà une solution pertinente dans certaines configurations. Un matériel de pose et de dépose est en cours de développement pour atteindre un rythme de chantier de 5 à 6 ha/j contre 2 à 3 actuellement, afin que les voiles deviennent une solution économique et pratique partout. »