our Fabien Carail, l’intérêt de l’irrigation ne fait aucun doute. « Cet été, à partir de début août, nous avons eu des défoliations dans nos vignes qui ne sont pas irriguées alors que dans les autres, le feuillage est resté vert jusqu'aux vendanges. Nous arrosons depuis 2007, et c'est la première fois que nous voyons des différences aussi marquées ! », relève ce vigneron coopérateur qui exploite 164 ha en IGP avec son père, à Montréal, dans l'Aude.
Sur cette surface, 95 ha sont irrigués au goutte-à-goutte par le réseau du canal du Bas-Rhône Languedoc (BRL). « Dans ces parcelles, nous avons fait le plein du rendement autorisé, alors que dans les autres, nous avons perdu 30 % du potentiel et un à deux degrés sur des cépages rouges – merlot, cabernet-sauvignon et caladoc –, à cause de blocages de maturation », note Fabien Carail.
Irriguer a bien sûr un coût. « Il faut compter 3 000 €/ha pour l'installation du goutte-à-goutte, dont 800 €/ha d'aides de FranceAgriMer, et 450 €/ha de frais annuels, main-d'œuvre comprise. Quand les pluies arrivent au bon moment, il y a peu de différence entre les parcelles bénéficiant ou non d'une irrigation. Néanmoins, dans la durée, c'est un investissement rentable, car il permet de maintenir la vigueur des vignes et d'optimiser le rendement et la qualité », affirme Fabien Carail. Ces dernières années, lui et son père ont ainsi produit en moyenne 13 à 14 tonnes/ha de raisins sur leur exploitation. En 2022, malgré les pertes dans les vignes non irriguées, le rendement s'est établi à 12,8 t/ha.
Fabien Carail dans l'une de ses vignes irriguées à Montréal dans l'Aude (Crédit photo SARL Carail)
Pour profiter à fond de l'irrigation, ils replantent en priorité les parcelles équipées. Cet hiver, ils vont également acheminer l'eau sur un ilôt de 10 ha à partir d'une borne existante. « Il va falloir poser 1,4 km de canalisation enterrée. L'investissement, à notre charge, est de 10 000 €, sans compter le travail que nous allons effectuer nous-même. Mais nous pourrons ainsi irriguer les deux tiers de nos surfaces, ce qui devrait suffire pour sécuriser notre production », indique Fabien Carail.
Vigneron coopérateur à Puisserguier, dans l'Hérault, Gérard Bourdel est passé de 12 à 15 ha irrigués cette année, et il va bientôt arroser ses 20 ha grâce à trois extensions du réseau BRL réalisées entre 2011 et 2020. « Dans les parcelles qui bénéficient du goutte-à-goutte, j'ai préservé le rendement. Dans les parcelles non irriguées et exposées à l'ouest, les vignes ont perdu rapidement leurs feuilles et les raisins ont flétri, ce qui a réduit le pourcentage de jus. Là, j'ai perdu 20 % du potentiel de récolte », observe-t-il. À l’arrivée, le rendement moyen de son exploitation a atteint 88 hl/ha, grâce à l'irrigation mais aussi à une belle sortie de grappes après le gel de 2021.
L’irrigation préserve non seulement les rendements, mais permet également à des vignes de se rétablir. Gérard Bourdel possède une parcelle de viognier d’une dizaine d’années installée sur un sol superficiel, qui n’était pas irriguée jusqu'à la dernière extension de 2020. Ces vignes étaient si peu vigoureuses que, certaines années, il n’avait même pas besoin de les écimer. Elles ne donnaient alors que 30 ou 40 hl/ha. « Depuis deux ans, j'irrigue cette parcelle, explique Gérard Bourdel. Cet été, je ai écimée cette parcelle deux fois car elle a bien poussé, cela fait plaisir à voir ! Quand elle aura fini de récupérer de la vigueur, le rendement devrait remonter à 70 ou 80 hl/ha. »


Il lui reste encore 8 ha à équiper dans les années à venir. « Avec des sécheresses de plus en plus fréquentes, qui entament le rendement, l’irrigation est rentable. Il suffit de produire quelques hectolitres de plus à l'hectare pour couvrir les frais. Au-delà, j'améliore ma marge ainsi que la durée de vie des vignes. Dans les années chaudes et sèches, j'ai en effet observé qu'il y avait davantage de mortalité dans les parcelles non irriguées. Sans apport d'eau, cela va s'aggraver. »
À Baixas, dans les Pyrénées-Orientales, Pierre Sanchez vient d’étrenner l’irrigation. Pour la première fois cette année, l’eau est arrivée dans son secteur grâce à une extension du réseau de l'ASA du canal de Rivesaltes portée par la coopérative Dom Brial, dont Pierre Sanchez est vice-président. Ce vigneron, qui exploite 27 ha avec sa femme, a équipé au goutte-à-goutte 2,2 ha de caladoc plantés en avril. Malgré une pluviométrie très faible et des pics de chaleur de 38 à 40 °C, ces vignes ont très bien poussé. « Grâce à l'irrigation, il y a deux ou trois sarments vigoureux sur chaque plant. Notre voisin a dû arroser son plantier tous les quinze jours tellement la sécheresse était intense. Je n'ai pas eu à faire ce travail, qui prend beaucoup de temps », apprécie Pierre Sanchez. L'an prochain, ils prévoient d'arroser une parcelle de syrah et une de macabeu déjà en production, ainsi qu'un plantier de syrah. En tout, ils vont équiper progressivement 10 ha en IGP afin d'étaler les frais. Jusqu'à présent, ces vignes donnaient 40 à 80 hl/ha selon les années. Avec l'irrigation, ils espèrent stabiliser les rendements entre 80 et 100 hl/ha. « Au vu des sécheresses qui s'enchaînent, c'est un investissement nécessaire. Nous dégageons encore de la marge, profitons-en pour préparer l'avenir ! »