iscrétion proverbiale, et fiscale. Cultivant la présence de ses vins dans les linéaires du monde entier (marques Baron de Lestac à Bordeaux, Kriter en Bourgogne, Roche Mazet en Languedoc, Listel en Camargue... Sans oublier les étiquettes Vieux Papes et Very Pamp, mais aussi les négoces Barton&Guestier, Barrière Frères, Patriarche... Et les caves Nicolas, les sites Savour et Vinatis), le négociant Castel est connu dans le vignoble pour sa grande réserve, ne commentant que rarement son business, et encore moins ses affaires. Et ce malgré son statut revendiqué de « troisième acteur mondial du marché » : avec un chiffre d’affaires de 800 millions euros pour 500 millions de bouteilles vendues par an, soit 16 cols/seconde.
Véritable mastodonte du vin, Castel était l’éléphant dans la pièce pour les services fiscaux suisses qui poursuivent son fondateur, le patriarche Pierre Castel, pour ne pas avoir déclaré ses revenus. En guise de rappel des impôts communaux, cantonaux et fédéraux, « le fisc genevois réclame 410 millions de francs [suisses, soit 424 millions d’euros] au milliardaire Pierre Castel » révèle le site suisse Gothamcity, spécialisé dans la criminalité économique. Évoquant « le plus riche des exilés fiscaux français en Suisse », cet article reprend l’arrêt du 5 juillet 2022 de la Chambre administrative de la Cour de justice de Genève qui condamne Pierre Castel pour avoir « omis d'indiquer à l'administration fiscale qu'il était à la tête du Groupe Castel et qu'il touchait d'importants dividendes via une fondation au Liechtenstein » de 2007 à 2009 (les années précédentes étant prescrites).


Ayant quitté la France pour la Suisse en 1981, après l’élection du président socialiste François Mitterrand comme le rapport Capital, Pierre Castel s’est domicilié à Genève de 1990 à 2012 sous son deuxième prénom : Jesus Castel. Une identité qui n’a fait tiquer l'Administration fiscale cantonale genevoise (AFC-GE) et l'Administration fédérale des contributions (AFC) que récemment, avec l’ouverture d’une procédure de rappel d’impôt en décembre 2017. Car « les déclarations fiscales de M. Pierre Castel différaient notablement des éléments de revenus et de fortune qui lui étaient attribués par la presse » rapporte l’arrêt du 5 juillet dernier cité par Gothamcity. En reliant Jesus Castel à Pierre Castel, le fisc helvétique doit désormais imposer le fondateur du groupe de bières et vins Castel et de ses multiples holdings : le « président de Cassiopée Group*, qui comportait plus de deux cent quinze sociétés à travers quarante pays. Or, son état de fortune ne mentionnait pas ces éléments » poursuit la justice, ciblant désormais les revenus du fonds d’investissements Investment Beverage Business Fund (IBBF, basé à Singapour, le « propriétaire ultime » de Castel au travers d’une construction complexe rapportée par l’association Survie en juin 2021).
Refusant le qualificatif d’évasion fiscale et se défendant de tout rôle opérationnel au sein du groupe Castel lors de la procédure judiciaire, le patriarche Pierre Castel indique aux juges avoir seulement « omis de déclarer certains éléments de revenus et de fortune entre 2007 et 2011 » (bénéfices de 18,4 millions € en 2007 et 50,1 millions € en 2008) et ses mandataires ont « souligné la difficulté à retrouver des documents utiles compte tenu du fonctionnement du contribuable (discussion orale, poignées de mains, "management à l’ancienne") ». Une défense qui n’a pas convaincu l’administration fiscale suisse, qui, n’ayant pas eu de documents leur prouvant le contraire, estime que Pierre Castel avait « conservé le contrôle du groupe du point de vue opérationnel et recevant la quasi-totalité des dividendes de la holding ». Durant la procédure, Pierre Castel contestait « le fait de lui attribuer tous les dividendes versés alors qu’une partie importante de ces derniers ne lui était effectivement jamais parvenue » et estimait qu’« il n’avait commis aucune faute, mais si une faute à sa charge devait toutefois être retenue, il ne pourrait s’agir que d’une imprévoyance légère ».
« Les explications du recourant quant à l’absence de documents écrits, au profit de discussions orales basées sur la confiance, ne convainquent pas, au vu des montants très importants en jeu » tranche la juridiction, notant que Pierre Castel doit « supporter les conséquences de son choix délibéré de préférer les "poignées de mains" aux pièces écrites, entraînant dès lors une impossibilité d’apporter une preuve tangible de ses allégations. » Condamné, Pierre Castel a déposé un recours pour une partie de ces amendes et rappels d’impôt. Le Tribunal Fédéral suisse confirme à Vitisphere qu’il y a un recours pour ce dossier, mais ne peut communiquer plus d’informations sur ce litige.
À date de publication, le groupe Castel n’a pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere.
* : Dans l’arrêt, il est rapporté les explications de Pierre Castel sur ces constructions, conçues « afin d’assurer son indépendance et sa pérennité, ainsi que pour éviter tout conflit familial suite à une éventuelle velléité d’appropriation par un unique membre de la famille, la croissance du groupe avait été autofinancée et sa détention avait été confiée à une structure indépendante. Progressivement, les sociétés faisant partie du groupe avaient en effet été centralisées au sein de la société holding de tête » Cassiopée à Gibraltar, puis au Liechtenstein en 1992, avant de la placer sous une holding faîtière en 2001, transférée au fonds singapourien IBBF en 2009.
Dans le jugement, il est fait écho au parcours de Pierre Castel : "issu d’une famille nombreuse modeste, il avait quitté l’école à l’âge de 11 ans et commencé à travailler comme ouvrier agricole avec son père. Il avait par la suite créé, avec ses frères et soeurs, un groupe industriel mondial spécialisé dans les boissons (production de bières, boissons gazeuses et vins), mais aussi actif dans l’huile et le sucre." Depuis, le groupe Castel "était devenu l’un des plus importants en Europe pour le vin et en Afrique pour la bière et les boissons gazeuses".