Emiliano García-Page Sánchez : Le point de départ est l'accord qui a été trouvé lors de la négociation de la prochaine politique agricole commune (PAC), dans le Règlement UE 2117/2021 de l'Organisation Commune de Marché (OCM unique) qui régit les marchés agricoles, y compris le vin, et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023.
Après beaucoup de travail au Parlement européen, un accord spécifique pour le vin a été trouvé dans ce règlement. Cette spécificité à accorder était impérative et liée au produit même qu’est le vin : d’une année sur l’autre, voire d’une cuve à l’autre, un même vin évolue. L’étiquetage se doit donc d’être réactif, praticable et précis. C’est ce qu’offre le règlement* qui a été voté par le Parlement européen et le conseil des ministres de l’agriculture.
Où en sont les projets réglementaires actuels (publications, échos…) ?
Le texte voté énonce des principes et des indications générales et n'est pas suffisamment précis sur les détails de la mise en œuvre de l'étiquetage. Les législateurs ont prévu qu’il doit être transcrit par un acte délégué que la Commission doit proposer. Par exemple, le règlement voté parle de "forme électronique" sans faire spécifiquement référence au QR code, qui était ce que les colégislateurs avaient à l'esprit, il ne donne aucune indication sur la taille du QR code et d'autres détails techniques liés.
Généralement, un règlement européen - appelé acte de base - nécessite une série d'actes délégués et d'actes d'exécution qui détaillent techniquement les dispositions décidées par les colégislateurs. C'est dans l'acte de base lui-même que la délégation est donnée à la Commission selon des règles précises. Dans le cas particulier dont nous parlons, la Direction générale de l'agriculture de la Commission Européenne (DG AGRI) est chargée d'élaborer, avec l'aide des États membres, un acte délégué détaillant la liste des ingrédients du vin à faire figurer sur l'étiquette "dématérialisée".
Légalement, c'est la Direction générale de la santé de la Commission européenne (DG SANTE) - qui est responsable de l'étiquetage de toutes les denrées alimentaires - qui doit rédiger les détails du QR code pour le vin. Or, si la DG AGRI a déjà commencé à rédiger son texte sur les ingrédients - des projets circulent déjà - la DG SANTE n'a rien fait jusqu'à présent, et ne semble pas pressée de le faire. Cette posture interroge sur les motivations qu’elle cache.
Concrètement, quels sont les risques et les incertitudes pour le futur des étiquettes de vin ?
On se souvient que la DG SANTE et la Commissaire en charge n’étaient pas « enthousiastes », pour utiliser un euphémisme, vis à vis de l'accord trouvé pour le vin. Maintenant, quelle est leur stratégie ?
Sont-ils conscients que la volonté des colégislateurs s’est clairement exprimée et qu’il est de leur devoir, en tant qu’exécutif et fonctionnaires européens, de transcrire la décision des colégislateurs ? Ou bien jouent-ils la montre pour tenter d’inclure le vin dans le règlement horizontal sur l'étiquetage de toutes les denrées alimentaires (Règlement 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires) sans exception spéciale et ainsi mettre les allégations nutritionnelles et la liste des ingrédients sur l'étiquette papier et non sur l'étiquette dématérialisée ?
D’un point de vue technique, ils pourraient s’engager sur cette voie, malgré le fait qu'il existe déjà un règlement publié dans le Journal officiel (PAC) et qui entrera en vigueur sous peu (1er janvier 2023). De fait, la Commission devrait publier cet ensemble de propositions au printemps 2023. Les propositions seront ensuite débattues et adoptées par le Parlement européen et les États membres pour aboutir à une législation finale au plus tôt fin 2025, début 2026.
Cependant, sous une telle hypothèse, les producteurs de vin devraient de toute façon respecter les règles de la PAC réformée et, à partir du 8 décembre 2023 (comme le prévoit l'acte délégué sur les ingrédients pour donner aux viticulteurs plus de temps que l'entrée en vigueur de l'ensemble de la PAC), ils devront faire figurer sur leurs étiquettes les calories et un QR code faisant référence aux allégations nutritionnelles et à la liste des ingrédients, en respectant les indications prévues par le règlement OCM unique, mais sans autres précisions, sans standard commun, sans certitude pour l’avenir.
Où aboutirait ces hypothèses ?Cela poserait une vraie question de respect démocratique de la part de la Commission, sans compter les problèmes techniques pour le secteur. Comment la commission pourrait-elle imaginer être légitime à détricoter une décision ultra-récente et très claire du Parlement européen et des ministres, sans autre argument que celle de la volonté du « prince commission » ?
Avec la tentative précipitée de faire passer le rapport européen de lutte contre le cancer (BECA), dont les termes ont heureusement été assouplis avant d'être adoptés, et cette lenteur dans la définition et le développement des termes de l'étiquetage nutritionnel du vin, le secteur est plongé dans un état d'incertitude dans l'exécution de ses obligations légales et, pire encore, dans le sentiment de ne pas savoir s'il existe une réelle prise de conscience de l'importance du rôle du secteur vitivinicole dans le tissu économique, social, environnemental et culturel de l'UE.
* : Ledit règlement dispose que « la déclaration nutritionnelle figurant sur l'emballage ou sur une étiquette jointe à celui-ci peut se limiter à la valeur énergétique, qui peut être exprimée au moyen du symbole "E" comme "énergie" ;
La déclaration nutritionnelle complète est fournie sous forme électronique selon les indications figurant sur l'emballage ou sur une étiquette jointe à celui-ci. Cette déclaration nutritionnelle n'est pas présentée avec d'autres informations destinées à la vente ou à la commercialisation et aucune donnée d'utilisateur n'est collectée ni ne fait l'objet d'un suivi : la liste des ingrédients peut être fournie sous forme électronique selon les indications figurant sur l'emballage ou sur une étiquette jointe à celui-ci. Dans ce cas, les exigences ci-après sont d'application :
a)
aucune donnée d'utilisateur n'est collectée ni ne fait l'objet d'un suivi;
b)
la liste des ingrédients n'est pas présentée avec d'autres informations
destinées à la vente ou à la commercialisation;
- La commercialisation des stocks de vin existants devrait être autorisée à se poursuivre après les dates d'application des nouvelles exigences en matière d'étiquetage, jusqu'à l'épuisement de ces stocks. »