andis que les feux de Landiras et de La Teste de Buch enflamment les forêts de pin de Gironde, depuis ce mardi 12 juillet, le vignoble bordelais se trouve nimbé dans une atmosphère brumeuse d'odeurs brûlées. Tout un symbole alors que la crise viticole fait long feu, où le consumé fait écho à ce qui n'est pas consommé. « Le vignoble brûle » soupire le vigneron Sébastien Léglise, à la tête des vignobles Falgueyret-Léglise (57 hectares en appellations Bordeaux, Bordeaux Supérieur, Entre-deux-Mers…). « À l’image de la forêt, certaines personnes veulent préserver le vignoble en n’y touchant pas, mais quand le feu prend, tout brûle. On en est là : on ne veut pas faire de pare-feu alors que tout est en train de cramer dans la plus grande discrétion » regrette le vigneron.
Témoignant d’une atmosphère pesante dans le vignoble de Gironde, Sébastien Léglise a l’impression d’être emporté à son corps défendant par la déconsommation des vins de Bordeaux : « j’ai l’impression qu’un siphon s’est ouvert et que tout le monde est aspiré vers le bas. Les premières victimes sont les vracqueurs, mais tout le monde est aspiré ». Ce n’est pas faute pour le vigneron d’avoir pris son indépendance commerciale. Installé en 2008 sur une exploitation vendant à 100 % en vrac, il a été lâché en 2009 par son principal client négociant, l’amenant à tout faire « pour se prendre en main et commercialiser par nous-mêmes. Ce n’était pas facile, mais on l’a fait » souligne Sébastien Léglise, dont la structure commercialise 400 à 600 000 cols par an en France (cavistes, grossistes…) et à l’export (États-Unis, Vietnam, Brésil, Canada…). « La diversification des pays, des gammes, des étiquettes*… ça nous aide, mais ça ne suffit pas » soupire le vigneron.
Constatant une baisse de ses ventes depuis 2019 (avec la perte de gros contrats en Chine), le domaine prend actuellement de plein fouet les conséquences de la crise covid et de l’invasion russe de l’Ukraine. Véritable « coup de massue », l’inflation du coût des fournitures s’accompagne de problématiques d’approvisionnement (bouteilles, capsules, étiquettes, carton…) : « on ne parle même pas du prix alors qu’ils augmentent. Ça ne durera pas très longtemps : on prend sur nos marges, mais je ne vois pas comment ça va durer » témoigne Sébastien Léglise, qui glisse qu’« actuellement, toute la trésorerie part dans l’achat de matière » et qu’après le règlement des salaires, des factures, des cotisations et des encours, « il y a des mois où l’on ne se paie pas ».
Inquiet dans l’avenir comme nombre d’autres vignerons bordelais, Sébastien Léglise note que l’« on est tous dans un schéma de production. Il faut lever la tête pour se demander ce qui est judicieux. Sans doute produire moins et plus adapté. Car à quoi sert de produire quelque chose que l’on ne va pas vendre ? » Alors que le déboisement est l’une des stratégies de gestion des flammes par les pompiers, l’arrachage serait une solution d’urgence pour rééquilibrer offre et demande selon le vigneron. « Actuellement, il y a une surproduction anormale. Peut-être liée à des plantations peu stratégiques dans des bas-fonds » avance-t-il. Espérant des décisions rapides pour résoudre des situations individuelles compliquées (notamment les vignerons à la retraite dont le revenu dépendait de fermages désormais à l’abandon), Sébastien Léglise semble déçu par le manque de concrétisation des discours politiques de la filière bordelaise (voir encadré).


Dans tous les cas, « il faudra un arrachage sans doute massif, mais il faudra d’autres leviers pour redresser la barre » pointe le vigneron, qui évoque un retour à la base du signe de qualité qu’est l’appellation (« la qualité moyenne de nos vins a progressé, mais celle des autres également, et peut-être plus »), un besoin de diversification (lui-même a semé des céréales sur son exploitation pour sortir de la monoculture, et reçoit des demandes d’IGP de l’Atlantique par certains acheteurs ne voulant plus d’AOP Bordeaux), des perspectives d’œnotourisme (« la porte de sortie de la région, c’est l’accueil à la propriété ») et la nécessité d’innovation (« la clientèle a besoin de nouveautés. La consommation de vin rouge ne cesse de diminuer : à nous de proposer des produits attractifs. Quand je vois le prix d’une bière de 25cl, je me dis que c’est possible »). Sans oublier de prendre conscience des forces du vignoble girondin : « on a un potentiel extraordinaire à Bordeaux : d’humains et de terroir. Mais on produit des vins stéréotypés, ce qui nous est reproché. Il faut revenir à quelque chose de plus terre à terre. »
* : La propriété propose malicieusement les cuvées « Broke back Montaigne » et « plan fût ».
« On n’est plus acteur, mais tributaire de notre métier. On subit » témoigne Sébastien Léglise ce 20 juillet à Castelviel. Photo : Alexandre Abellan.
Changeant de présidence, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) affirme sa volonté de rééquilibrer la production par l’arrachage. Mot qui n’a pas été prononcé pendant le discours du nouveau président, Allan Sichel, mais qui a été écrit dans le flash info du CIVB qui a suivi cette élection. Si l’interprofession ne souhaite pas commenter le sujet cet été, on y entend qu’il n’y aurait pas de divergence entre l’ancien président, le viticulteur Bernard Farges ayant lancé la demande bordelaise d’aide à l’arrachage définitif primé sur des fonds européens, et le nouveau président, le négociant Allan Sichel qui préconise une reconversion vertueuse et réversible des terres viticoles. Dans tous les cas, la fumée blanche annonçant la concrétisation des discours n'est pas apparue.
Si l’interprofession ne communique pas de chiffres sur les besoins d’arrachages, on entend dans le vignoble qu’il faudrait retirer au moins 20 000 hectares (sur 108 000 ha de vignes en Gironde). Soit la surface de pins partie en fumée depuis le 12 juillet.
Photo : Service Départemental d'Incendie et de Secours (SDIS 33).