’il y a une profession sensibilisée au changement climatiques, c’est bien celle des agriculteurs en général et des vignerons en particulier pointe Bernard Angelras, le président de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) : « pragmatiques, nous sommes la catégorie socioprofessionnelle ou il n’est pas possible de ne pas s’adapter ». Alors que le millésime 2022 est actuellement marqué par une énième vague de chaleur, Bernard Angelras souligne que peu de vignerons ont conscience des impacts aussi multiples qu’inattendus que le changement climatique va avoir sur leur métier.
Vigneron en Costières-de-Nîmes, Bernard Angelras rapporte ainsi le chamboulement du travail estival causé par les températures actuelles. Trop chaudes le jour, elles ne tombent plus suffisamment le matin et même la nuit. Habitué à commencer son travail vers 3 à 4 heures de matin pour préserver les hommes et le matériel (les radiateurs hydrauliques sont sous-dimensionnés pour les tracteurs, les interceps…), Bernard Angelras note qu’il fait désormais 25°C à 3 heures du matin, 30°C à 8 heures… « L’amplitude thermique entre le jour et la nuit est moins importante. Il va falloir une nouvelle façon de gérer le travail d’été (prenant en compte les habitations voisines pour réduire le bruit et les possibles tensions) et faire évoluer les matériels (avec des équipements adaptés aux fortes températures) » esquisse-t-il.


Pour lui, « le vignoble doit tirer les enseignements du changement climatique et ne pas constater chaque année qu’il y a du gel le printemps, que les orages de grêle suivent les coups de chaud, qu’il y a une sécheresse l’été… Les phénomènes ne vont plus être exceptionnels. » Face au changement climatique, « aujourd’hui, on a fait le constat et on a des pistes » pointe le président de l’IFV, qui a remis la stratégique de changement climatique de la filière vin en août 2021 (sur la base des recherches du projet Laccave) et évoque les nombreuses actions techniques actuellement envisageables (gestion des surfaces foliaires, hauteur du feuillage, choix du matériel végétal, travail du sol, irrigation*…). Sachant que faute de solution actuellement parfaite, toute modification de l’écosystème viticole peut entraîner des effets négatifs. Par exemple, « quand on a une hauteur de fil porteur à 75 cm, il faudrait le rabaisser pour réduire la consommation d’eau l’été. Mais si l’on baisse le niveau, on est confronté à plus une grande sensibilité au gel de mars à avril » illustre Bernard Angelras, notant qu’il est difficile de trouver le juste milieu dans les améliorations viticoles.
Appelant à passer à la phase active de la stratégie de filière, le président de l’IFV souligne la finalisation d’un comité de pilotage rassemblant les forces vives du vignoble : l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO, pour les vins AOP et IGP), le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV), l’Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), l’Institut National de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAe) et l’IFV.


Rappelant que la filière vin a fait le choix de rester dans les zones viticoles délimitées actuellement (en AOP et IGP), Bernard Angelras est persuadé que l’innovation permettra d’apporter des réponses pour adapter la production à la nouvelle donne climatique (filets paragrêles, frigories dans les caves…). Cette R&D demande évidemment de la recherche, et donc des moyens financiers. Mais pour être déployée dans le vignoble, l’innovation nécessite également de pouvoir être adoptée par les vins AOP et IGP. Bernard Angelras préside justement la commission technique de l’INAO, qui est récemment devenue la commission technique et innovation souligne le vigneron. « Aujourd’hui, le temps presse, il faut pouvoir rapidement adapter les cahiers des charges » pointe-t-il.
Appelant à repenser l’ensemble du modèle actuel face au changement climatique, Bernard Angelras ne s’arrête pas qu’aux aspects techniques, pointant des enjeux démographiques (avec le renouvellement nécessaire des générations), de nouvelles consommations (comme le rafraîchissement des vins rouges face aux températures actuelles), des actions d’atténuation (avec le stockage carbone pour contribuer à la neutralité)… L’enjeu étant de s’adapter et non de s’habituer à la nouvelle donne climatique.
* : En matière de stress hydrique, « aujourd’hui la canicule s’étend à toutes les régions de France » avec des situations compliquées où « la plante souffre (au-delà de 35-38°C, les stomates se ferment et la plante ne fonctionne pas), si cela dure longtemps il y a de la défoliation qui commence… » indique Bernard Angelras, qui indique avoir la chance de bénéficier d’une irrigation au goutte à goutte sur l’essentiel de son domaine gardois. Ce qui lui « permet de préserver le végétal (qui fait des réserves pour l’année suivante), mais on n’arrive pas à faire grossir les baies (elles restent petites, sauf s’il y a 30 à 40 mm de pluie). Si la situation continue comme ça, la récolte va se réduire à peau de chagrin alors que l’on avait une belle sortie de baies. » Un constat partagé dans de nombreux vignobles.