ormis des prévisions volumiques proches de la normale pour l’heure, les deux pays connaissent des situations contrastées au niveau météorologique. Dans la principale zone productrice espagnole, Castilla-La Mancha, les conditions climatiques ont été plutôt clémentes et propices à une bonne production jusqu’à présent. Les nappes phréatiques ont été bien rechargées grâce à de bonnes précipitations pendant l’hiver et si les récentes vagues de chaleur laissent planer la possibilité d’une révision à la baisse des prévisions, la situation est globalement positive. « Il est sans doute un peu tôt pour l’affirmer, mais on peut tabler sur une récolte de l’ordre de 44 à 45 millions d’hectolitres en Espagne, soit 10 ou 15 % de plus que l’an dernier », estime David Martin, responsable du bureau madrilène de la société de courtage international Ciatti. Et de nuancer : « La chaleur, le changement climatique et la nature peuvent, bien sûr, tout changer à tout moment ».
De l’autre côté des Alpes, la sécheresse suscite des inquiétudes, notamment dans le nord du pays. « A Padoue, par exemple, il n’y a plus d’eau dans les fontaines », explique Florian Ceschi, directeur du bureau européen de Ciatti à Montpellier. « C’est du jamais vu depuis 70 ans ». Le gouvernement se préparerait même à déclarer l’état d’urgence en Emilie-Romagne, Lombardie, dans le Piémont et en Vénétie. Paradoxalement, dans le Sud du pays, la situation est inversée, des perturbations climatiques qui rendent compliqué l’établissement de prévisions chiffrées pour l’heure.
Là où les deux pays se rejoignent c’est dans les perspectives commerciales à la veille de la nouvelle campagne. Tout en relativisant le volume avancé pour l’Espagne – qui comporte une part non négligeable destinée aux moûts et aux alcools – Florian Ceschi estime que la perspective d’une bonne récolte en Espagne « n’est pas du tout une bonne nouvelle pour la filière espagnole, parce que les cours commencent déjà à fléchir, principalement sur les rouges ». En cause : « Une faible demande pour les vins rouges de cépage et les rouges génériques », ajoute David Martin. « Les commercialiser à bon prix pendant l’année à venir s’annonce potentiellement compliqué. Si les stocks en septembre sont élevés, nous serons confrontés à une situation difficile au niveau des prix ».
Du côté des blancs, dont le marché se présente de manière « beaucoup plus saine et équilibrée, voire déficitaire », quel que soit le pays, la prochaine campagne ne devrait pas être non plus un long fleuve tranquille. « Les Espagnols, dont plus de la moitié de la production est en blanc, ont l’impression que tout va bien parce qu’ils n’alimentaient pas des marchés comme la Russie. Sauf qu’une grosse partie de cette production de blanc porte sur les vins génériques, souvent à petits degrés, qui rentrent dans l’élaboration des mousseux au niveau européen. Ce que les Espagnols ne mesurent pas pour l’instant, c’est que s’il y a un ralentissement de ces marchés-là, cela pourra engendrer des annulations de commandes sur les blancs génériques espagnols ».
Certes, la filière espagnole a la possibilité de réorienter une partie non négligeable de sa production vers d’autres débouchés, notamment les moûts, qualifiés par le courtier international de « sorte de soupape de la production espagnole ». Mais, l’augmentation des coûts de l’énergie a mis à mal la compétitivité des opérateurs espagnols : « Actuellement, même avec des raisins moins chers, les cours des moûts concentrés rectifiés en Espagne sont plus élevés qu’en Italie. Cela risque de changer un peu la donne. Chez Ciatti, nous préparons déjà des contrats en pré-vendanges pour des coopératives en Languedoc, qui regardent les offres italiennes alors que depuis 5, voire presque 10 ans, elles s’approvisionnaient en Espagne. Le prix de départ en Espagne sur les moûts concentrés est équivalent à un prix italien rendu chez les caves du Languedoc, donc l’écart est assez important », analyse Florian Ceschi, qui attribue ce phénomène à des coûts énergétiques qui ont augmenté davantage en Espagne qu’en Italie, sachant que l’élaboration de moûts concentrés rectifiés nécessite du gaz et du pétrole.
L’Italie, touchée de plein fouet par la guerre entre l’Ukraine et la Russie, et par le casse-tête logistique mondial car très tournée vers le grand export et notamment les Etats-Unis, a d’autres problématiques à gérer. « Les Italiens estiment que le conflit en Ukraine va amputer 300 millions d’euros de leur balance à l’export. C’est plutôt préoccupant, d’autant plus que cela touche surtout les produits conçus quasi-spécifiquement pour les Russes, majoritairement des premiers prix, vendus entre 1,50 et 2,50 euros. Les volumes sont importants et concernent surtout des spumante à base de muscat, issus principalement de la Vénétie et du Piémont. Le problème, c’est vers où diriger ces produits désormais ? C’est très compliqué d’être dépendant d’un seul marché et surtout avec des produits dont personne d’autre ne veut ». Comme l’Espagne, l’Italie est très touchée par la hausse des coûts de production, la stabilité des prix sur certains produits très recherchés comme le Prosecco étant impossible à assurer. « Il y avait même des caves qui, lorsqu’elles n’arrivaient pas à faire passer ces réévaluations de prix, arrêtaient de produire parce qu’elles perdaient de l’argent sur leurs ventes ».
Pour l’Espagne, David Martin évoque deux scénarios possibles sur le plan tarifaire pour la campagne 2022-2023 : « Soit nous connaîtrons une année comme celle qui vient de passer, avec des prix fixés au début de l’année qui s’infléchiront vers la fin de l’année, ou bien ils diminueront tout au long de l’année sous l’effet d’une baisse des ventes et d’une production plus importante ». Dans tous les cas, une répercussion de l’augmentation des coûts de production sur le prix des vins ne semble pas être à l’ordre du jour, du moins sur le marché du vrac.