Nous sommes clairement dans une situation de déséquilibre. Je reçois quasiment tous les jours des appels de producteurs de vins bio qui me proposent des échantillons de vins qu’ils n’arrivent pas à vendre », s’alarme René Vergnes, courtier à Béziers. Son confrère gardois Bruno Crouzet tient le même discours : « Sur ma paillasse, 80 % des échantillons qui restent à la vente sont des vins bio. En face, il n’y a aucune demande. Les acheteurs, qui craignaient de manquer de volume à cause du gel de l’an dernier, se sont fournis en début de campagne. Aujourd’hui, le marché est à l’arrêt. »
Après une décennie de croissance à deux chiffres, le marché des vins bio semble marquer le pas. Et ce ralentissement survient alors que la production va encore bondir lors des prochaines vendanges. Avec 9 000 ha nouvellement certifiés cette année en Occitanie – soit un total de 42 000 ha en bio –, 700 000 hl de plus devrait être produit, si tout va bien, par rapport à 2021, dont la récolte a été sévèrement amputée par le gel.
Dans les caves, cette situation inquiète. « Pour les prochaines vendanges, une quinzaine de nos adhérents vont nous livrer leur première récolte en IGP Pays d’Oc bio. Cela représentera 10 % de notre récolte. Or, cette année nous n’avions que 1 % de notre production en bio et nous avons dû en vendre une partie en conventionnel car le marché était saturé. Je crains une grande désillusion pour l’an prochain. L’écart de prix entre bio et conventionnel va se resserrer », confie Gérard Bancillon, président de la coopérative Les Collines du Bourdic.
Même inquiétude à la Cave de Durfort, qui a produit 30 % de ses volumes en bio. « En début de campagne, tous ces vins étaient réservés, mais début mars, notre partenaire s’est désengagé sur une partie de ses réservations. Il nous reste donc 150 hl, invendables en ce moment. Et l’an prochain, notre production bio va quadrupler. Nous nous activons pour élargir notre portefeuille de clients », témoigne le directeur François Mandon.
Frédéric Sénat, directeur des Vignerons Créateurs, groupement coopératif gardois, a senti les prémices d’un retournement dès la récolte 2020. Le gel du printemps 2021 a permis d’apurer une partie des stocks. Malgré cela, lui aussi se retrouve avec des invendus : 1 000 hl sur les 6 000 produits en bio, principalement en IGP Pays d’Oc. Et les surfaces certifiées sont elles aussi en forte progression : de 80 ha en 2020, elles vont passer à 350 ha en 2023. « On espère que ces volumes vont permettre au négoce de se développer à l’export car les ventes dans la Grande Distribution en France ne décollent pas. »
Particulièrement touchés par le gel du printemps 2021, les vignerons de la Voie d’Héraclès, leader français du vin bio, n’ont rentré qu’une demi-récolte. Ils ont vendu tous leurs rouges et tous leurs blancs en IGP Pays d’Oc bio. Mais il leur reste 10 à 20 % de leurs rosés. « Le marché n’est plus aussi dynamique. On arrive sans doute à un palier en France. L’avenir du bio va se jouer à l’export », estime le président Jean-Fred Coste.
À Bordeaux, le marché du bio s’essouffle également. En 2021, les ventes de Bordeaux bio en grandes surfaces en France ont reculé de 6,8 % en volume. À Terre de Vignerons, union de 12 coopératives de Gironde et du Lot-et-Garonne (875 ha en bio sur un total de 15 000 ha), on continue d’y croire. « Nous avons 1 800 ha qui seront certifiés dans les trois prochaines années. Jusqu’à présent, nous n’avions pas pu développer nos ventes car nous manquions de volume. Bientôt, ce ne sera plus le cas », indique Chloé Maixandeau, la responsable marketing et communication.
Mais cette coopérative est loin d’être la seule à prendre ce virage. En Nouvelle-Aquitaine, le vignoble certifié bio va grossir de 12 300 ha dans les deux prochaines années. « Il est sûr qu’il y a beaucoup d’offre. Faire du bio, ça ne suffit plus pour vendre. Il faut travailler le packaging, lancer de nouvelles gammes, développer les Bib, faire de la promo… Nous sommes confiants car notre marque Croix d’Albret a une bonne rotation en rayon. Et nous avons décroché un nouveau référencement national chez Intermarché. Mathématiquement, nos ventes vont progresser. Ce qui nous pénalise, c’est le grand écart de prix entre le bio et le conventionnel. Ce n’est pas le bio qui est trop cher, mais les conventionnels qui sont anormalement bas. »
Dans la vallée du Rhône, la situation semble moins critique. Chez les Vignerons de Villedieu Buisson, la campagne s’est déroulée sans accroc jusqu’à début avril. Producteur historique de vin bio, cette coopérative du Vaucluse a récolté 15 000 hl de vins bio sur une production totale de 40 000 hl de Côtes du Rhône et d’IGP Méditerranée. « Tous nos volumes sont réservés. Nous en avons vendu l’essentiel à un opérateur qui vend en Grande Distribution. Jusqu’ici, le marché était à l’équilibre, les cours sont restés stables. Mais, depuis début avril, on sent un ralentissement des retiraisons. Il y a beaucoup de surfaces en conversion. Quatre de nos adhérents vont nous livrer leurs premiers raisins bio pour les prochaines vendanges. Va-t-on vers un déséquilibre du marché ? Ce n’est pas impossible, d’autant que l’inflation plombe le pouvoir d’achat. Les vins bio, qui sont plus chers, pourraient en souffrir », redoute le directeur, Olivier Andrieu.
Le marché du vin bio a déjà connu des soubresauts. En 2012 et 2013, le bond des conversions avait conduit à un engorgement qui s’était résorbé sur une à deux campagnes. Reste à espérer que de nouveaux marchés s’ouvriront à l’export pour rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.