l’extrême est du Portugal, la région de Trás-os-Montes (littéralement « Derrière les monts ») s’attache à mettre en valeur son histoire viticole millénaire. Il y a 2 000 ans, les Romains y ont taillé les premiers fouloirs dans la roche granitique, en pleine nature. Ce sont des cuves ouvertes de quelques mètres carrés, accolées à leur cuve de réception des jus, en léger contrebas. Ces vestiges font aujourd’hui la fierté de cette région.
À Valpaços, sa capitale, on a recensé 113 de ces « lagares », la plupart datant en fait du Moyen Âge, et créé un circuit de 18 km pour les découvrir. Plus au nord, dans la région de Montalegre, un autre circuit recense plus de 80 fouloirs remarquables. Et il en reste des centaines à découvrir au hasard des promenades dans les vallons et les coteaux de cette région aux magnifiques paysages. Un patrimoine qui indique l’importance du vin tout au long de l’histoire.
En 2018, un premier vin « romain » a été reconstitué dans un de ces fouloirs sous la houlette de la commission des vins de Trás-os-Montes, l’équivalent de nos Organismes de Défense et de Gestion (ODG). Nuno Miguel Neves était à la manœuvre. Ce vigneron bichonne ses vieilles vignes sur son domaine de Salvante, à Santa Valha. C’est ce trésor qui lui a permis de faire le premier Calcatorium, premier vin romain de l’époque moderne. En effet, pour avoir le droit d’utiliser ce qualificatif, il faut respecter un cahier des charges imposant que les grappes viennent de vieilles vignes et de cépages locaux.
« Ça a été travail de fou, s’amuse Nuno Miguel Neves. Il a fallu transporter les barriques dans les champs. On a tiré un premier jus rosé après avoir foulé les raisins au pied. Puis on a laissé macérer le marc avec les jus restants pendant quatre jours, après quoi on a écoulé ce jus dans des barriques où il a fermenté pour donner un rouge. » Et c’est avec des seaux qu’il a transvasé les jus dans ses barriques.
Réalisés en petite quantité, ces deux vins se sont taillé un franc succès, au prix de 25 € la bouteille. Au point que Nuno Neves a répété l’expérience en 2021 et qu’il pense continuer à l’avenir.
Mais, pour l’instant, il est le seul à s’être lancé dans cette aventure destinée à faire connaître la région et ses vins. Trás-os-Montes est une appellation récente, reconnue DO en 2006, et qui se décompose en trois sous-régions : Valpaços au sud, Chaves au nord-ouest et enfin le plateau Mirandais à l’est, près de l’Espagne, où les vignes grimpent jusqu’à 800 mètres d’altitude. « Nous produisons 120 000 hectolitres, mais seulement 22 000 sont certifiés en appellation. Le reste est vendu en vin de table. Notre région est très hétérogène. Elle se caractérise par une succession de microclimats et d’expositions. Notre constante c’est le granit qui apporte acidité et fraîcheur à nos vins », souligne Ana Alves, œnologue et responsable du laboratoire de la commission vitivinicole Trás-os-Montes.
À une trentaine de kilomètres à l’ouest, le domaine Quinta de Arcossó, dans la région de Chaves, ne dispose pas de « lagares ». Pas question pour lui de faire du Calcatorium, du moins dans l’immédiat. Mais son propriétaire Amilcar Salgado estime que c’est une vraie richesse pour la région. « Le vin est une mémoire vive. Tout ce qui peut enrichir cette mémoire est un plus pour nos produits », dit-il.
Sur 20 ha, dont 0,7 de vignes préphylloxériques, Amilcar Salgado produit du rosé, du blanc, du rouge, du mousseux et du moelleux. Il insiste sur la fraîcheur de ses vins, malgré leur haut degré. Amilcar Salgado récolte fin août à 13 ou 14 degrés d’alcool probable. « C’est un peu élevé pour le blanc mais cela contrebalance l’acidité naturelle, indique-t-il. À 14°, l’arinto, un cépage blanc, a 2,9 de pH. Nos rouges, 60 % de notre production, ont un pH de 3,6 et plus de 5 g/l d’acidité tartrique. »
Au sud de Valpaços, le domaine Valle Madruga offre un patchwork de vert à perte de vue, entre oliviers, amandiers et vignes bien sûr. Sur 41 ha – en moyenne une exploitation ne dépasse 1,5 ha au Portugal – Valle Madruga élève des vins généreux aux arômes fruités et frais, comme tous ceux de cette région. Cette quinta croit au développement de l’œnotourisme et projette la construction d’un hôtel vinique. Elle est partie prenante du projet « lagare ». « Ces vestiges distinguent notre région », assure Fernando Nicolau de Almeida, responsable de la propriété, qui fera peut-être du Calcatorium dans le futur.
En attendant, Valle Madruga a investi 1 million d’euros dans une cave située dans Valpaços même. Et s’inscrit dans la modernité. Fernando Nicolau de Almeida dispose, depuis 2021, d’une cuve en ciment dernière génération, 100 % portugaise, avec contrôle des températures. Ce matériau permet une micro-oxygénation tout en douceur pour « conserver le velours des vins », explique-t-il.
Un peu plus au nord, à Vale de Salgueiro, chez Quinta das Corriças, le propriétaire Telmo Moreira a investi dans une chambre froide où il réceptionne, trie puis presse à 11 °C. Toute la vinification se fait en température contrôlée alors qu’à l’extérieur le thermomètre peut grimper à 45 °C durant les vendanges. Ici, la lutte contre le réchauffement semble passer avant la remise en valeur de procédés ancestraux.
Avec Colares, Trás-os-Montes est la seule région du Portugal à conserver des vignes préphylloxériques. On voit souvent ces parcelles aux ceps énormes et noueux en visitant le vignoble. Leurs propriétaires les bichonnent, à l'instar de Nuno Miguel Neves. Chez lui, elles représentent la moitié des 12 hectares qu’il possède Santa Valha. « La plus jeune a 125 ans. Je remplace régulièrement les pieds morts. Il n’y a pas d’alignement. Je dois labourer avec un cheval. C’est beaucoup de travail, mais c’est un trésor ! », affirme-t-il. Pour remplacer les pieds, il plante d’abord un porte-greffe puis greffe en place. Partout ces vignes sont conduites en gobelet. Comme elles sont complétées de blancs et de rouges, on ramasse les raisins en deux passages, d’abord les blancs, ensuite les rouges. On les vinifie séparément pour obtenir des vins apportant du corps et de la rondeur en assemblage avec des cuvées plus jeunes.