Gérard Bertrand : Ce n’est pas le vigneron-négociant qui a écrit, c’est l’être humain qui a été l’écrivain. J’ai passé 18 mois à écrire et à mettre de l’ordre dans mes idées (ce projet de livre remonte à deux ans). Ce confinement a créé des conditions paradoxales. Il a créé des angoisses chez une majorité de gens. Chez moi, il a créé des conditions de ressourcement. Confiné j’ai changé de mode de vie, j’ai retrouvé du temps. L’enseignement de cette période de respiration, je l’ai vécu avec du repos de l’âme et de l’esprit. Ça m’a régénéré.
Jusqu’à présent on vous définissait comme un joueur de rugby professionnel, un vigneron en biodynamie, un négociant languedocien… Faut-il y ajouter le terme d'écrivain, voire de philosophe, utopiste ?
Je n’ai pas la prétention d’être un philosophe. J’ai voulu faire un essai, certains diront un manifeste, sur le changement de paradigme actuel. Nous devons réaliser que la priorité est la planète. C’est elle qui nous accueille, pas le contraire. Je tire les conclusions de mes expériences personnelles et professionnelles.
Vous écrivez que la transition écologique est incontournable dans le vignoble : puisque le vin n’est pas un bien de première nécessité, sa production doit être de la première exemplarité…
La viticulture doit être exemplaire. La mission de l’agriculture est de nourrir les gens. La mission de la viticulture est de réjouir les cÅ“urs. Cela fait longtemps que le vin aliment n’existe plus. Un autre paradigme est apparu pour le vin, avec des tournants écologiques et énergétiques. Il faut arrêter de faire culpabiliser, les transports ne sont qu’une fraction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut voir comment capter le carbone avec des sols vivants en viticulture, de l’enherbement, de la captation d’humidité...
Je ne crois pas dans la décroissance, nous allons continuer à croître, mais en étant plus économes et plus efficients. Il faut passer d’une logique d’abondance à un défi de la pénurie. Depuis 100 ans, c’est la nature qui subit notre développement.
Dans votre livre, vous alertez sur le « prochain scandale des résidus de pesticides » et semblez prédire un avenir 100 % bio au vignoble.
Ce n’est pas ce que j’écris. Je pense que 50 % du vignoble sera bio dans 10 ans. C’est ce que réclament les consommateurs. L’avenir c’est le bio. L’arrêt des herbicides sera plus rapide, ils seront interdits dans les cinq prochaines années et concernera 100 % du vignoble. Aujourd’hui, on sait faire du désherbage mécanique, cela demande plus de main d’Å“uvre et de technique.
Vous défendez l’homéopathie à titre personnel et la biodynamie à titre professionnel. Ne craignez-vous pas d’être classé au mieux comme un gentil huluberlu ou au pire comme un druide arriéré ?
Quand on se met à nu comme je le fais dans mon livre, c’est parce que l’on a des convictions profondes et que l’on n’a pas peur des critiques. Je suis un chef d’entreprise, je suis pragmatique. Si la biodynamie ne produisait pas de meilleurs vins qu’avant, si elle n’était pas meilleure pour la planète, si le sol n’était pas plus vivant et si les vins n’avaient pas plus de potentiel de garde, je ne développerai pas ce modèle. Cela a mis vingt ans à se mettre en place [chez moi], je ne suis pas revenu en arrière. Pour la symbolique, nous avons 20 hectares de vignes travaillés au cheval, mais les tracteurs sont dans le reste du vignoble. La bio n’est pas incompatible avec l’innovation, au contraire.
Il y a deux volets. D’une part le respect du sol, avec les pratiques culturales. D’autre part l’Å“nologie, dont nous sommes les champions du monde en France. Développé depuis cinquante ans, ce travail de précision en cave n’est pas remis en cause. Mais je milite contre la standardisation du goût par les excès d’Å“nologie. Ce n’est pas rétrograde que de vouloir obtenir une bonne qualité de raisin à la vigne pour être minimaliste dans ses opérations au chai.
Vous appelez votre lecteur à ne pas avoir peur en cette période de crise. Comment est-ce possible pour des membres de la filière vin qui subissent sans relâche les crises économiques et climatiques ?J’ai un précepte, qui n’est pas de moi: "la peur n’évite pas le danger". Avoir peur ne sert à rien pour résoudre ses problèmes. La bonne nouvelle, c’est que vos problèmes ne sont qu’à vous : personne ne va vous les prendre pendant la nuit. Ces problèmes donnent un sens à votre vie, le plus important c’est de garder sa capacité à se projeter. Le plus souvent nos peurs sont des chimères. Il faut trouver l’apaisement. Pour ceux qui sont isolés, il faut se donner le temps de souffler dans la nature pour se reconnecter et rendre grâce de la beauté d’une nature immuable.
Forcément, dans le métier on voit les problèmes arriver les uns après les autres : la taxe Trump sur le marché américain, la crise covid et la fermeture des restaurants, le gel et les pertes de récolte… Chacun mesure sa difficulté en fonction de son état avant la crise. Mais le pire n’est jamais certain. Les mesures gouvernementales ont permis d’amortir les coups. Quand on va voir en Italie et en Espagne, on voit que tout le monde n’a pas eu le même amortisseur. La viticulture c’est une école de l’humilité : il n’y a pas que de bonnes années. Pour avoir des cheveux blancs, je le sais.