ttention au cocotier des préjugés, ça va secouer ! Cette fin juillet à Bordeaux, les Vignobles Gabriel doivent devenir le premier opérateur de vins français certifié commerce équitable par Ecocert avec la distinction « fair for life » Cette dernière assurant « le respect des droits de l’Homme et de conditions de travail justes », tout en certifiant que « les producteurs engagés dans la chaîne d’approvisionnement reçoivent un prix juste, voient leurs outils de production s’améliorer, et ont les moyens de mener des projets collectifs qu’ils décident eux-mêmes ». Inédit dans le vignoble français en général et bordelais en particulier, ce label est « volontairement provocateur. Ça va interpeller le consommateur, qui voit les vignerons bordelais comme des châtelains riches comme Crésus avec leurs bottes en cuir. Mais le consommateur n’a pas honte d’acheter une bouteille de Bordeaux à 3,50 €, tout en dépensant 10 € pour une bouteille de Languedoc avec l’idée d’aider un petit vigneron » explique Jean-François Réaud, le président du négoce Vignobles Gabriel & Co (3 domaines en propre et 35 vignerons partenaires, pour 6 millions de cols/an*).
Afin de remettre les vins de Bordeaux dans le radar des consommateurs, le vigneron-négociant compte mettre à niveau l’image et la réalité du vignoble de Bordeaux, pour en assurer l’avenir. Rappelant l’initiative de la marque C’est qui le patron pour le lait, ce label de commerce équitable compte créer de la curiosité pour les vins bordelais. « Le consommateur a besoin de retrouver ce que veut dire Bordeaux. C’est une notion abstraite aujourd’hui. L’impression de pseudo noblesse de la notion de château ne se traduit pas forcément dans la qualité de la bouteille ou l’identité d’un vigneron » estime Jean-François Réaud. Tablant sur une réinvention du discours de vente des vins de Bordeaux, le fondateur des Vignobles Gabriel milite également pour une refonte du système bordelais.
Juridiquement, les Vignobles Gabriel sont une structure de négoce, mais se posent dans leur communication comme un mouvement de vignerons s’entraidant. Construit ces vingt dernières années, son modèle d’entreprise est résolument hybride. « Il puise dans trois systèmes existants à Bordeaux : le vigneron indépendant comme socle (avec trois domaines en propre à Blaye et des vignerons ambassadeurs), la coopération avec des contrats triennaux glissants (ainsi qu’une CUMA pour les matériels viticoles et la lutte antigrêle) et le négoce pour l’achat de vin (pour le revendre sous marques) » explique Jean-François Réaud.
Concrètement, les 35 vignerons liés aux Vignobles Gabriel s’engagent sur des volumes importants (souvent la quasi-totalité de leur production), avec en contrepartie une rémunération calculée sur le coût de production (par exemple le prix du Bordeaux générique est de 1 350 euros le tonneau, quasiment le double du cours actuel) et la qualité (un collège de dégustateurs extérieurs note les lots à l’aveugle). Ayant rédigé un manifeste éthique (voir encadré), les Vignobles Gabriel actionnent désormais le levier de la communication pour valoriser et pérenniser leur démarche. Pour rester viable économiquement, le négoce doit rétablir sa compétitivité face aux petits prix proposés par d’autres opérateurs aux distributeurs.


Pour médiatiser son projet, Jean-François Réaud prépare un évènement de lancement parisien en septembre prochain. A destination du grand public, mais aussi de la filière. Ce qui sera l’occasion de promouvoir un « modèle à utiliser par d’autres. Notamment négociants, pour leur expliquer qu’il existe une autre voie pour un certain nombre d’opérateurs. Ça ne va pas les appauvrir, mais les enrichir intellectuellement et humainement pour sauver la filière. Sinon, les négociants seront des traders opportunistes » avertit Jean-François Réaud. Visant à l’avenir l’étoffement de ses engagements de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), le vigneron vise la conversion à la bio de 100 % de ses vins d’ici 2023 (contre un tiers actuellement), sachant qu’ils sont déjà tous certifiés Haute Valeur Environnementale (HVE).
* : Dans les appellations Blaye Côtes de Bordeaux, Côtes de Bourg, Castillon Côtes de Bordeaux, Puisseguin Saint-Emilion, Montagne Saint-Emilion, Saint-Emilion Grand Cru, Sainte-Foy Côtes de Bordeaux, Entre-deux-Mers, Francs Côtes de Bordeaux, Bordeaux et Bordeaux Supérieur.
« Plus qu’un modèle économique, notre démarche s’érige en philosophie et se résume en un mot : éthique » annonce le manifeste. Qui indique que « notre mouvement repose sur cette notion d’éthique vigneronne », définie comme « un modèle hybride, juste équilibre encore coopérative, négoce et vignerons indépendants. Préservés sous une bannière commune, chacun de nous voit son identité protégée et son travail rémunéré à sa juste valeur, quelques soient les aléas économiques et climatiques, nous permettant de concentrer nos efforts dans une dynamique d’amélioration constante de la qualité de nos vins. »