ien ne va plus au pays de Don Quichotte. Les deux ténors de la DO Valdepeñas, et de la filière vitivinicole espagnole dans son ensemble, se déchirent dans une lutte intestine qui risque de faire voler en éclats cette appellation située dans le sud de la région de Castile-La Mancha. Félix Solis et J. Garcia Carrion s’accusent mutuellement de tricher sur la catégorisation de leurs vins. En cause : des vins jeunes prétendument commercialisés avec des mentions normalement réservées à des cuvées élevées en barriques. Les accusations, initialement formulées par J. Garcia Carrion (Pata Negra, Don Simon, Jaume Serra) à l’encontre de Félix Solis (Viña Albali), ont fini par donner lieu à une enquête diligentée par le procureur de Ciudad Real avant d’être transmise à l’Audience Nationale, à Madrid, en raison de la couverture nationale des protagonistes de cette affaire. Dans le même temps, un rapport mené en interne, au sein du Conseil régulateur, a révélé de graves irrégularités entre les volumes déclarés avec ces mentions valorisantes – Crianza, Reserva et Gran Reserva – et les quantités réellement commercialisées. En effet, les données Nielsen indiquent que les deux tiers des vins labellisés DO Valdepeñas portent une mention au stade de la commercialisation, alors que les déclarations en interne situent cette part à un tiers seulement. Ainsi, quelque 16 millions de litres sont officiellement éligibles à l’une des mentions, contre près de 30 millions mis en marché.
L’affaire ne porte pas uniquement sur les deux géants du secteur espagnol ; d’autres caves, comme la Bodega Navarro Lopez, sont également citées. Elle fait suite à des demandes pressantes de la part d’organismes agricoles comme l’Asaja, l’UPA et les coopératives agroalimentaires pour clarifier l’utilisation des mentions liées au vieillissement des vins. Ces organismes dénoncent non seulement le manque de transparence sur l’étiquetage mais aussi la mainmise sur le Conseil régulateur des deux associations dont font partie les caves appartenant aux deux groupes. Une emprise qui a fini par bloquer toute prise de décision au sein du Conseil, dont l’obligation de préciser la mention sur une contre-étiquette dédiée, telle que le demandent les organismes agricoles. La pression est telle que ces derniers ont menacé de quitter le Conseil au 24 juillet si le système de vote n’est pas modifié par les autorités. Ils souhaitent même que la gestion de la DO soit placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture de Castile-La Mancha. Cette affaire fait grand bruit, non seulement parce que les deux principales entreprises mises en cause sont des poids lourds du secteur – en Espagne comme au niveau mondial avec des marques leader – mais aussi parce que les répercussions économiques pourraient être dramatiques. En effet, les quelque 4 000 producteurs de la zone pourraient se voir contraint de vendre leurs vins sous l’appellation voisine La Mancha, dont les prix sont nettement inférieurs, et l’image de tout un système traditionnel s’en trouve terni.