cronyme à la mode, la RSE (pour Responsabilité Sociétale des Entreprises) laisse perplexe nombre d’opérateurs. De l’impact environnemental au dialogue social, en passant par la vigilance sur les fournisseurs et l’engagement éthique, cette nouvelle démarche globale recouvre des enjeux multiples, dont il paraît difficile de saisir les enjeux concrets alors que se multiplient déjà les référentiels de développement durable (bio, Haute Valeur Environnementale, Terra Vitis…).
Face à une arborescence de labels tenant de la jungle d’engagements, « il n’y a pas de prérequis, on peut construire la RSE qui ressemble à chaque entreprise » désamorce Philippe Degrandel, le directeur technique des marques Baron Philippe de Rothschild (BPR) et co-président de la commission technique du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB). Intervenant ce 7 février en ouverture du onzième forum environnemental bordelais, le négociant contrebalance la nécessité pour la filière de s’engager dans une démarche durable plus large avec la mise en place d’un accompagnement interprofessionnel.
Comme pour le Système de Management Environnemental des vins de Bordeaux il y a dix ans (le SME, réunissant actuellement 300 opérateurs certifiés pour 900 engagés), l’accompagnement vers la RSE du CIVB est d’abord développé par une équipe pilote. Caves particulières, comme coopératives et négoces, 28 opérateurs de la filière se sont réunis en 2019 pour tester un outil de diagnostic initial mettant en évidence leurs points d’évolution prioritaires. Ce dispositif conduit à un plan d’actions sur le terrain, auquel l’opérateur s’engage en signant préalablement une charte RSE.
S’inspirant du guide ISO 26 000, cette démarche a l’ambition d’aller jusqu’à la reconnaissance par un organisme certificateur. En attendant, l’interprofession « met en place l’outil de diagnostic ce mois de février, avec la formation et l’accréditation d’animateurs RSE en mars, pour lancer le premier groupe après les vendanges, en novembre » explique Laura Esperandieu, la responsable RSE du CIVB.


Pour ses premiers utilisateurs, « l’outil soulève des questions auxquelles on n’avait pas pensé » souligne Xavier Buffo, le directeur général du château La Rivière (Fronsac). Revenant aux fondamentaux du développement durable, la RSE ne traite pas que d’environnement, mais aussi du social et de l’économique. Dans la filière vin, « le développement durable a été pris à l’origine sous l’angle environnemental. Normal, c’est là où le sentiment d’urgence est le plus important, et où la pression sociétale est la plus forte » souligne Marie-Catherine Dufour, la directrice technique du CIVB » souligne la technicienne.
Traitant aussi bien de réduction des pesticides que d’attractivité des métiers (voir encadré), la RSE doit consolider la résilience de la filière des vins de Bordeaux. « Si je devais résumer notre projet en quelques mots, je dirais : pérennité, dynamisme cohérence et faire savoir* […] Vous devez trouver des solutions à l’échelle de vos exploitations. Nous pouvons vous aider par la construction d’outils collectifs et la collecte de success-stories manégériales. Chaque réussite individuelle ne sera pas une goutte d’eau dans un océan, mais une brique supplémentaire dans notre maison commune » esquisse Bernard Farges, le président du CIVB, qui rappelle son objectif d’atteindre 100 % des vins de Bordeaux sous certification environnementale en 2030.
Si certains peuvent douter de la pertinence d’un travail de fond éloigné des défis commerciaux actuels, Bernard Farges clame l’importance de ce virage RSE : « en cette période de difficultés économiques, il est primordial de trouver des solutions à court terme pour relancer les ventes et dynamiser notre filière. Ce serait pourtant une erreur de ne pas aussi préparer l’avenir avec une stratégie collective et ambitieuse. C’est ce que nous proposons au travers de notre démarche de développement durable »
Ce que confirme Philippe Degrandel : la démarche RSE est d’autant plus pertinente dans un contexte de crise qu’elle permet d’apporter des réponses aux enjeux environnementaux, d’attractivité des vins, de départ à la retraite, de relation avec le voisinage… Des challenges de long terme qui imposent un changement de logiciel pour les résoudre.
* : L’enjeu est moins le savoir-faire que le faire-savoir estime Christophe Château, le directeur de la communication du CIVB, qui souhaite faire de l’environnement un sujet de fierté et plus d’anxiété (comme annoncé fin 2018). Vont dans ce sens les prix de la Revue du Vin de France pour le SME de Bordeaux et le renouvellement du concours Bordeaux Vignoble Engagé avec Terres de Vin.
Sujet bloquant dans le vignoble, le recrutement de salariés fait partie des axes de travail de la RSE. « Nous faisons face à un manque de main d’œuvre. Nos propriétés manquent de personnes, de gestes, de compétences » rapporte Pierre Cazeneuve, le directeur du château Paloumey (Haut-Médoc). Dans le même temps, un vivier de « 4 000 jeunes non diplômés sont en recherche d’emploi dans le Médoc » souligne Caroline Boidron, la responsable des partenariats aux Apprentis d’Auteuil. Faisant se rencontrer cette demande spécialisée et cette offre désœuvrée, un programme d’insertion d’une douzaine de jeunes dans des propriétés médocaines a été lancé l’an dernier. Cahin-caha, ces premiers résultats demandent encore à s’inscrire dans la durée, mais restent prometteurs.
Plus largement, « aujourd’hui, le salaire et la sécurité de l’emploi ne sont plus des critères suffisants pour attirer les candidatures dans nos entreprises. La pénurie de tractoristes en est la preuve. A une époque où le virage écologique que nous vivons va nous obliger à intervenir plus fréquemment dans nos vignes, ce sujet devient saillant » renchérit Bernard Farges, le président du CIVB. Qui conclut que « la nouvelle génération de salariés demande plus sens et transparence dans les pratiques de l’entreprise ».