Jacques Dupont
"La science a laissé les vignerons s’embarquer dans l’ésotérisme de la biodynamie"

Dans un dossier remarqué (« l’enquête qui pique » le 23 janvier dernier), le journaliste du Point s’est lancé à contre-courant de la mode des vins alternatifs. Revenant à la genèse des vin biodynamiques, il en fait tousser certains dans les allées du salon des vins de Loire et même s’étrangler derrière les stands de la Levée de la Loire ou de Demeter.
A critiquer les vins nature et biodynamie, deviendriez-vous un réac’ ?
Jacques Dupont : On ne peut pas dire que je sois réac’. En 1990 dans Gault et Millau, j’étais l’un des premiers à m’intéresser aux vins sans S02. J’ai réalisé la première interview de Claude et Lydia Bourguignon dans un grand média national. Je ne suis pas réac’, je suis lucide.
A LIRE AUSSI
Le cœur de votre dossier revient sur les racines méconnues de la viticulture en biodynamie.
Beaucoup de ceux qui se réclament de la biodynamie ignorent les principes de Rudolf Steiner, ainsi que les écrits et réseaux de l’anthroposophie. Je suis journaliste, je me suis intéressé à éclairer les origines. Il suffit d’aller lire les textes de la biodynamie pour avoir l’impression d’être devant le Grand Albert, le livre de sorcellerie du Moyen-Âge.
Nous sommes au vingt-et-unième siècle, comment peut-on croire qu’enterrer des cornes de vaches puisse faire plaisir aux elfes ? Il faut nuancer, ce sont des gens qui essaient de mieux faire. Je soutiens la bio depuis le début, cela remet les gens dans le vignoble et les oblige à plus regarder leurs vignes. La différence des viticultures bio et biodynamie, c’est de travailler les sols. Cela ajoute une troisième dimension au vin, un relief. Beaucoup de ceux qui sont en biodynamie ne mettent pas de l’achillée dans des vessies de cerfs et ne brûlent pas des peaux de rongeurs. Tant mieux s’ils continuent à faire des tisanes et que la biodynamie leur apprend de nouvelles techniques.
Vous prôneriez donc une biodynamie sélective, raisonnée…
A chaque fois qu’il y a des excès, il y a des contre-excès. Après une période productiviste (où la chimie a sauvé le vignoble), d’un coup il y a un retour de balancier (où certains sont prêts à faire n’importe quoi). La science a des responsabilités en la matière. Aller vers le bio est une belle démarche, mais qui ne peut pas se faire sans accompagnement scientifique. Le grand coupable, c’est l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). La recherche et l’enseignement viticole ne se sont pas penchés sur la bio avant la fin des années 2000. Ils n’ont pas pris le virage assez tôt pour accompagner la compréhension des phénomènes naturels. Il manque toujours une alternative au cuivre ! Il y a besoin de bonnes connaissances en chimie et biochimie pour travailler en bio avec de la qualité et de la quantité. Mon papier est équilibré, je mets en cause la science qui a laissé les vignerons s’embarquer dans l’ésotérisme de la biodynamie.