mbrosina, Berdomenel, Camaraou, Gonfaus, Olivana, Parrel, Rougette… Dressé sur les chemins de Compostelle, le Petit catalogue de cépages oubliés des Pyrénées recense 26 cépages autochtones dont les potentiels viti-Å“no étaient jusque-là perdus de vue. À commencer par les spécialistes de l’ampélographie, qui ont mis à profit les trois ans du projet Valovitis pour chercher de nouvelles variétés en dehors des sentiers battus, voir encadré, tout en caractérisant les profils agronomiques et Å“nologiques de variétés d’intérêt au sein de collections existantes, notamment celles d’Oraas et de Pau.
De 2016 à 2018, les experts de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), de l’Interprofession des Vins du Sud-Ouest (IVSO) et de l’Université de Saragosse ont identifié 300 variétés dans la zone pyrénéenne, ont réalisé 200 tests ADN, en ont étudié 162 en conservatoire, dont 120 ont pu produire 265 vins expérimentaux, bon gré mal gré. « Souvent, il y a peu de pieds en collection. On a réalisé des microvinifications de 30 litres si l’on récoltait plus de 20 kg de raisin, ou de 1,5 l si l’on avait moins de 20 kg » prévient Fanny Prezman, chargée de projet à l’IFV Sud-Ouest, présentant ce 17 avril le bilan de Valovitis à Fronton (où une sélection d’une dizaine de ces cépages à fort potentiel vont prochainement être plantés).


Se basant sur 16 000 mesures aromatiques par chromatographie, les chercheurs ont pu caractériser les profils Å“nologiques d’une centaine de cépages peu connus, mais révélant des typicités d’intérêt. Ainsi, « les cépages Courtoisie et Greta ont des niveaux de 4-méthyl-mercaptopentanone [arômes thiolé de fruits exotiques] similaires au sauvignon blanc », tandis que « les concentrations de rotundone [arôme terpénique poivré] du Malpé sont fortes, et même supérieures au seuil de détection en rosé » rapporte Ernesto Franco, du Laboratoire d’Analyse de l’Arôme et d’Œnologie d’Aragon.
Si ces analyses fines permettent d’identifier les arômes variétaux, et les potentiels Å“nologiques, propres à chacun de ces cépages autochtones, les chercheurs ont également mesuré leurs potentiels agronomiques via des observations le long de la saison, jusqu’à la vendange (précocité, productivité, sensibilité…). Ces données scientifiques permettent de réaliser une présélection des 26 cépages*, en prenant en compte leur capacité d’adaptation à la nouvelle donne climatique, mais aussi leur potentiel qualitatif pour s’implanter et se différencier sur les marchés.
Au niveau international, « notre compétitivité passe par la mise en avant de ce qui nous distingue. Il est évident que nous devons nous concentrer sur nos pépites régionales » pose le vigneron Christophe Bou, vice-président de l’IVSO. Cette plus-value identitaire des cépages autochtones n’est pas une vue de l’esprit, mais une réalité émergente dans les marchés. « Ce qui fait rêver nos clients aujourd’hui, ce n’est pas le merlot ou le cabernet sauvignon, mais notre diversité, identitaire et locale » renchérit Nadine Raymond, la coordinatrice R&D de l’union coopérative Plaimont Producteurs. Qui produit depuis 2014 des cuvées de Manseng noir (80 000 cols cette année pour Moonseng), et prévoit de s’attaquer à la grande distribution cette année (avec la marque Cyllène, en développement).


Témoigne également de cet engouement commercial la cuvée de Negret Punjut du vigneron frontonnais Marc Penavayre (château Plaisance). Avec 40 ares plantés en 2016, son domaine ne produit annuellement que 2 000 bouteilles de ce cépage autochtone, mais il fait face à une forte demande pour « les vieux cépages de la vieille Europe ». Ce cépage autochtone répondant également aux demandes des consommateurs de moindres degrés alcooliques (« en 2018, j’ai battu un record, avec 11,5°.alcool… »). Prévoyant de planter de nouvelles parcelles, Marc Penavayre n’a qu’un regret : que l’inscription au catalogue de ce cépage ne soit pas achevée, le limitant à la catégorie des vins de France.
« L’aspect patrimonial du vignoble du Sud-Ouest, c’est le fer de lance de ses appellations » conclut Olivier Yobregat, le responsable du matériel végétal de l’IFV Sud-Ouest. Pour qui la conservation des anciens cépages doit donner la possibilité au vignoble de les redévelopper. Et de redécouvrir leurs noms oubliés
* :Soit quinze cépages français (en rouge : Camaraou, Gros cabernet, Gros verdot, Magdeleine noire des Charentes, Malpé, Mancin, Negral, Negret poundjut, Rougette, San Antoni, Tarabassié, Tardif. En blanc : Berdomenel, Guillemot et Manseng vert) et onze cépages espagnols (en rouge : Ambrosina, Benedicto, Beutiran, Gonfaus, Tortozona tinta, Parrel. En blanc : Alabana, Greta, Jarrosuelto, Olivana et Rotuna).
Grâce à une centaine de signalisations déposées sur un site web dédié, les ampélographes ont prospecté le territoire pyrénéen de 2016 à 2018, de la Catalogne au Pays Basque. Parcourant des vignobles amateurs ou trouvant des repousses dans des forêts, les experts ont déniché 7 cépages inconnus, immédiatement mis en conservatoire pour être observés*. « Cela peut sembler peu, mais on découvre de moins en moins de nouveaux cépages. Les résultats sont au-delà de ce que l’on espérait » explique Olivier Yobregat. Un croisement inhabituel de Vitis amurensis et de Vitis lambrusca a également été répertorié, et pourrait être exploité dans un programme d’obtention de cépage résistant aux maladies cryptogamiques. Les premières observations de ces cépages inconnus sont attendues dans les trois prochaines années.
* : Au conservatoire national du domaine de Vassal et dans la collection régionale de l’IFV.