utant dépassé que blessé par la médiatisation de sa déception du bio, Basile Tesseron, le gérant du château Lafon-Rochet, ne souhaite plus être cité dans la presse. Ayant comparé des pratiques de la viticulture biologique à celle conventionnelle sur les 40 hectares de son grand cru classé de Saint-Estèphe, le propriétaire ne veut plus épiloguer en on sur un renoncement annoncé ou une opposition montée en épingle. Il préfère désormais se taire, « à jamais », sur le sujet. Ce qui n’est pas le cas de ses critiques, et soutiens, qui s’affrontent avec virulence.
Dernière étape en date, un communiqué d’association antiphytos dénonce des traces de produits Cancérogènes, Mutagènes et Reprotoxiques (CMR) sur les millésimes 2013, 2014 et 2015 du château Lafon-Rochet. La présence de cinq « résidus de Folpel CMR, de Phtalimide (métabolite du Folpel), de Boscalid, du Fenhexamide et de Pyriméthanil » avec une « régularité remarquable […] tout au long des millésimes, indique qu'il s'agit bien d'une stratégie phytosanitaire volontaire » reprochent les collectifs Infos Médoc Pesticides, Alerte aux Toxiques et Alerte Pesticides Haute Gironde. Militant pour un déploiement bordelais de la viticulture bio (notamment à proximité des crèches, habitations, maisons de retraite…), ces associations reprochent à Basile Tesseron de « dénigrer systématiquement la viticulture bio [sur tous les médias] et de faire croire qu’elle est au moins aussi dangereuse que l’agriculture conventionnelle ».
Demandant des excuses publiques, qui ne seront jamais faites, le collectif antiphyto épingle aussi la « complaisance » des médias dans leur traitement des propos de Basile Tesseron. Dont Vitisphere, pour avoir publié : « Lafon-Rochet, pionnier de la bio en Gironde, renonce à la certification ».


Les « allégations » de Lafon-Rochet sont aussi critiquées par l’ensemble des syndicats bio de Nouvelle-Aquitaine*, qui « souhaitaient rétablir quelques vérités » dans un récent communiqué incisif : « le château Lafon-Rochet n’a jamais été certifié en bio ou en conversion vers la bio », donc Basile « Tesseron ne peut pas affirmer qu’il a "abandonné", "quitté" ou "stoppé" sa conversion en bio ». Ajoutant que « contrairement à ce qu’affirme [Basile] Tesseron, le cuivre n’est pas "issu de la pétrochimie". Il s’agit d’un produit naturel, d’un oligo-élément indispensable à la vie humaine (il existe même une dose journalière recommandée, comme pour le calcium) », les organismes bio soulignent qu’« il est contre-productif d’opposer les systèmes : la diminution de l’utilisation des pesticides chimiques de synthèse, l’interdiction des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques ne pourront avoir lieu qu’à la condition de disposer d’alternatives. À court terme, le cuivre est la seule branche sur laquelle repose le changement de modèle agricole. »
Cette vision du débat n’est pas partagée par une partie, non négligeable, des lecteurs de Vitisphere, qui continuent de soutenir Basile Tesseron dans les commentaires : « on nous fait croire que le bio est l'avenir pour sauver la planète de tous ces maux. Alors, que l'on peut constater qu'il subsiste toujours de nombreux résidus de cuivre dans les sols et les moûts récoltés en bio » tance MT34, prônant une alternative durable avec la certification Haute Valeur Environnementale (HVE). Entre les critiques en légitimité de Basile Tesseron et les soutiens pour son « courage » à critiquer publiquement la bio, les avis sont tranchés, témoignant que la bio reste l’un des sujets les plus clivants du vignoble.


Mais des voix modérées se font aussi entendre dans ce brouhaha d'invectives. Comme Jacques357, qui estime que « les conventionnels, dont je fais partie, vont devoir faire un pas vers une viticulture durable, raisonnée, HVE… Appelez-la comme vous voulez. Les bios, eux, devront peut-être aussi revoir leur copie afin de prendre en compte certaines dérives. Mais surtout, il va falloir arrêter d'opposer les bios et les non-bios. On fait le même métier, […] alors, arrêtons de nous taper dessus et marchons ensemble dans la même direction. » Une position apaisée que partage sans doute Basile Tesseron. Surtout si cette direction l’éloigne de tout un débat dont il est la cause, pour ne pas dire la cible.
* : Il s'agit d'Agrobio Gironde, de la Fédération Régionale de l'Agriculture Biologique de Nouvelle-Aquitaine, d'Interbio Nouvelle-Aquitaine et des Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine.
Interviewé ce 8 octobre, bien avant les débats sur sa décision, Basile Tesseron expliquait à Vitisphere avoir choisi en février 2018 d’arrêter tout son programme d'essais bio, n'étant pas convaincu par les résultats et ne voulant « pas perdre de temps et passer à autre chose ». Pour lui, la bio « n’est pas le bon système en matière environnementale. Et tous nos efforts peuvent être salis par des personnes opportunistes, qui s’achètent une conduite avec la bio. C’est comme aller à l’église le dimanche matin, pour aller au bordel le soir. L’intérêt de la bio c’est de ne pas avoir de résidus dans les vins. Mais le cuivre est problématique. Ce n’est pas si naturel dans son extraction. Certaines choses de la bio sont bonnes, comme le travail du sol. D’autres ne le sont pas, comme le besoin de passer dix fois plus en tracteur, ce qui pollue trop. »
À noter que la réflexion environnementale de Basile Tesseron est plus globale que les traitements phytos, l’empreinte carbone de ses multiples déplacements au grand export le tracassant également. « Pendant les deux à trois prochaines années, je réduis mes voyages en avion et mon parc automobile pour éviter les déplacements inutiles » annonce-t-il, soulignant que « dire que l’on fait de la biodynamie, alors que l’on va à Tokyo pour un dîner, c’est aller contre le bon sens… On entend trop de discours bien-pensants, alors que le gérant de la propriété conduit un énorme 4x4 et passe l’année à faire le tour du monde en première. Est-ce bien nécessaire de se déplacer autant alors que les moyens de communication actuels permettent d’arriver au même résultat ? »