’il est prometteur, « nous sommes encore très en amont dans ce projet » prévient d’emblée la chercheuse Sylvie Malembic-Maher (Institut National de la Recherche Agronomique de Bordeaux). « Les quarante premiers frères du merlot seront testés entre 2017 et 2019, pour identifier les moins sensibles à la flavescence dorée » ajoute la chercheuse. Encore à un stade de recherche fondamentale, cette étude inédite est en effet loin de l’étape de plantation au vignoble. Mais ses travaux ouvrent la perspective de réduire la sensibilité du vignoble à une maladie de quarantaine qui continue de s’y propager.
Retenu par le plan de lutte national contre le dépérissement du vignoble, le projet bordelais Co-Act étudie les ressorts génétiques de la sensibilité au phytoplasme de la flavescence dorée. Et ceci à partir de nouvelles obtentions apparentées au merlot. Bien connue au vignoble, la faible sensibilité de ce cépage star a été validée par la recherche*, qui en attribue l’origine à sa mère : la magdeleine noire des Charentes (voir encadré). Pour mettre à profit les éléments génétiques à l’origine de ce pedigree, les chercheurs ont créé rien de moins qu’une nouvelle fratrie.
En 2015 et 2016, les centres INRA de Bordeaux, Colmar et Montpellier ont créé des petits frères du merlot par hybridations de ses parents. Les croisements entre la magdeleine noire et le cabernet franc ont permis « la création d’une population d’étude. Il s’agit avant tout d’observation, plus que d’obtention, pour voir si certains individus réagissent différemment au phytoplasme » explique Laurent Charlier, du service technique du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), qui participe au financement du projet.
Les premiers tests de sensibilité vont avoir lieu sur une sélection de quarante hybrides obtenus, dans une serre à haut confinement de l’INRA de Bordeaux. Cette présélection permettra de tester le phénotype de ces frères du merlot, et notamment leur sensibilité à la flavescence dorée. « Pour le moment, le processus de phénotypage est très lourd et son faible débit ne nous permet pas d'envisager une cartographie génétique, du moins sur le moyen terme » explique Sylvie Malembic-Maher. Qui conclut avec réalisme que tous les cépages sont sensibles : « il n’y a pas de résistance à proprement parler, mais une moindre sensibilité, qui pour conséquence une moindre propagation de la maladie au vignoble. »
* : Dans son étude publiée en 2016, Sandrine Eveillard (INRA Bordeaux) a démontré que le taux de multiplication du phytoplasme de la flavescence dorée est variable selon les cépages et porte-greffe. Des études au vignoble et des inoculations en serre de confinement ont ainsi montré que le merlot montre des taux d’infection et des concentrations en phytoplasmes très inférieurs à ceux du cabernet sauvignon.
Redécouvert par François-Xavier Périn en Bretagne à la fin des années 1990, ce cépage est le « chaînon manquant pour comprendre l’encépagement du Sud-Ouest », comme le résumait une étude de l’ampélographe Jean-Michel Boursiquot en 2009. Ses équipes montpelliéraines ont déterminé par la génétique que la magdeleine noire était le cépage mère du merlot, qui a pour père le cabernet franc. Si la magdeleine noire est moins sensible à la flavescence dorée, « le cépage n’est pas intéressant en lui-même. Il est très précoce, son nom vient de sa véraison à la Saint-Marie Magdeleine (le 22 juillet), et ses rendements sont trop faibles pour être utilisé » précise Sébastien Julliard, le directeur du Conservatoire du Vignoble Charentais.
Actuellement la Magdeleine noire est présente dans les collections ampélographiques de Richemont, de Vassal, de Bordeaux et du Sud-Ouest (Olivier Yobregat de l'IFV en ayant trouvé dans la région). Son utilisation par la recherche « démontre tout l’intérêt de chercher des variétés anciennes et les sauvegarder pour l’avenir » souligne Sébastien Julliard. Conservatoire du Vignoble Charentais.