Co-auteure d’un livre dédié aux stratégies de communication performantes dans les réseaux sociaux et le commerce électronique du vin (qui vient de se voir décerner une mention spéciale par l’OIV*), le docteur Liz Thach MW étudie ces supports depuis leur émergence il y a quelques années. Avec d’autres chercheurs spécialisés dans le vin, elle a réalisé une étude sur onze pays pour mieux connaître les différentes plate-formes utilisées à travers le monde et leur évolution.
« Notre étude a montré que d’une façon générale, Facebook est la première plate-forme utilisée. Twitter arrive en deuxième place, puis les blogs, YouTube avec ses vidéos et ensuite Instagram ». Néanmoins, des différences significatives existent d’un pays à l’autre. « Nous avons exclu la Chine de notre étude de 11 pays parce qu’elle fait appel à des réseaux qui ne sont pas répandus dans d’autres parties du monde, notamment à cause des restrictions imposées par l’Etat chinois », explique la chercheuse. Et de citer Wechat ou Weixin, très couramment utilisé en Chine.
Au fur et à mesure que la place des réseaux sociaux se développe, de nouvelles plate-formes émergent. C’est le cas aux Etats-Unis avec Snapchat, tandis que Whatsapp est plus répandu en Europe. Des sites existants voient également leur rôle évoluer : « Nous avons été très surpris de constater l’importance de Trip Advisor dans le domaine du vin. On y trouve beaucoup d’informations sur les caves qui sont lues par les internautes et peuvent donner lieu à une visite, une dégustation et un achat ».
10 % des vins en Chine achetés en ligneC’est bien là le nerf de la guerre – encourager les internautes à passer du virtuel au concret. « Dans l’une des études que nous avons réalisées, nous cherchions à savoir si une présence accrue sur les réseaux sociaux se traduisait par une augmentation du chiffre d’affaires des ventes en ligne, par rapport aux caves qui n’étaient pas présentes sur ces réseaux. Nous avons trouvé qu’effectivement, il y a un lien inextricable entre les réseaux sociaux et les achats de vins en ligne. Plus une société développe une présence sur les réseaux sociaux, plus elle vend de vin sur les sites de commerce électronique ».
Plus généralement, plus le nombre d’internautes dans un pays donné est élevé, plus il y a de chances pour que ces internautes achètent du vin en ligne. Ainsi, en Chine, pays le plus en avance en termes d’utilisation des réseaux sociaux – du fait, entre autres, de l’envergure de sa population – environ 10 % des vins sont achetés en ligne, contre une moyenne mondiale de 4 %.
Notons toutefois que le prix du transport représente un facteur déterminant dans l’acte d’achat en ligne, et un frein que bon nombre de pays doivent encore surmonter. « La Chine commercialise une grande partie des vins en ligne à travers de petits magasins de proximité, capables de livrer des vins à domicile à des prix très attractifs, de l’ordre de 1$. Aux Etats-Unis, il faut encore compter environ 10$, ce qui est dissuasif sauf pour les vins de haut de gamme ».
Sans compter la réglementation, différente d’un Etat à l’autre. « De façon plus globale, les infrastructures ne sont pas encore en place pour rendre les achats de vins en ligne intéressants du point de vue financier. Certaines entreprises investissent actuellement dans des solutions de transport de type Uber ou des dispositifs sans chauffeur. Mais même une société comme Amazon, qui vend désormais du vin aux Etats-Unis, fait payer 10$ la livraison, ce qui est prohibitif si vous souhaitez acheter une bouteille à 9$ ! »
Dépoussiérer l’image du vinMalgré ce, pour le Dr Liz Thach MW, l’intérêt des réseaux sociaux pour une entreprise vinicole est de pouvoir générer des ventes sur son site internet. « Il y a encore beaucoup de possibilités de développement dans le commerce électronique. Des outils comme YouTube et Facebook peuvent être utilisés pour amener des visiteurs vers son site internet ». Mais pas seulement. Dans ce secteur traditionnel par excellence, les réseaux sociaux peuvent servir à dépoussiérer l’image du vin. « Nous avons été surpris, à travers nos recherches, de constater qu’il existe beaucoup de vidéos très drôles autour du vin, y compris dans des pays comme l’Inde ».
Et de citer le cas de Jordan Winery en Californie, qui a recruté une experte en réseaux sociaux et vidéos YouTube pour faire évoluer son image plutôt vieux-jeu. « Elle a créé toute une série de vidéos hilarantes avec de la musique, de la danse etc, qui font un vrai buzz sur internet. Ce buzz a véritablement revalorisé l’entreprise et généré beaucoup d’intérêt autour de ses vins ». A condition, bien sûr, de respecter la réglementation en vigueur dans son pays, domaine dans lequel les entreprises doivent être particulièrement vigilantes, estime la chercheuse. « Aux USA, il y a une agence fédérale chargée de surveiller le contenu des réseaux sociaux en faveur des vins. Les règles ici sont très claires et quelques wineries se sont fait épingler pour avoir utilisé les réseaux sociaux afin de promouvoir leurs produits d’une manière jugée inappropriée ».
Authenticité et constance les maîtres motsD’où l’intérêt de faire appel à des spécialistes de ces réseaux pour les utiliser à bon escient, à tous les niveaux. « Les réseaux sociaux représentent une nouvelle discipline au sein d’une entreprise. Il est donc indispensable d’embaucher un spécialiste ou tout au moins de s’appuyer sur une société de conseil parce que les consommateurs vont parler de votre entreprise, même si vous ne faites rien de votre côté ». Constance et authenticité sont devenues les deux mots clés pour une utilisation efficace des réseaux sociaux. « Vous ne pouvez pas créer une présence sur ces réseaux puis laisser tomber. De même, vous devez établir un dialogue avec votre public sans vanter les mérites de votre marque de façon trop flagrante. Tout est question d’authenticité et de communication réciproque ».
S’ouvrent également des possibilités de marketing nouvelles. « La publicité à travers les réseaux sociaux est devenue extrêmement sophistiquée. Des plate-formes comme Facebook et Twitter utilisent des techniques comme l’exploration de données ou data mining en anglais pour cibler le type de consommateur qui correspond à votre entreprise et à vos produits. Des systèmes d’analyse permettent aussi de mieux cerner le profil des utilisateurs de vos réseaux sociaux et ceux qui interagissent avec vous. Cela peut vous apporter, par exemple, des données démographiques sur des cibles auxquelles vous n’aviez jamais pensé ».
Les réseaux sociaux moins chers que la publicité classiqueToutes ces techniques ont toutefois un coût. Ce n’est pas pour autant qu’elles sont réservées à de grosses entreprises avec des budgets marketing conséquents, estime le Dr Thach. « Certes, les géants comme Constellation et Gallo disposent de services entiers dédiés aux réseaux sociaux et au commerce électronique. Mais de plus petites structures peuvent également envisager l’embauche d’une personne à mi-temps par exemple, ou bien un stagiaire ou un consultant externe. L’utilisation des réseaux sociaux est bien moins coûteuse que la publicité classique ».
Et le jeu en vaut la chandelle : « Les réseaux sociaux représentent le nouveau bouche à oreille du secteur des vins. Bien sûr, les gens continueront à échanger autour du vin en personne, mais ils le font également en ligne, sur Facebook, Instagram et Twitter. Ils créent leur propre cercle d’amis en ligne, au sein d’un groupe Facebook par exemple, des gens en qui ils ont confiance et dont ils se fient aux recommandations ». Le tout, c’est de pouvoir anticiper les évolutions d’un monde en évolution perpétuelle. « Les plate-formes, notamment, changent : il y a quelques années, personne n’avait entendu parler d’Instagram, alors qu’à l’heure actuelle, ce service est très utilisé ».
Aux entreprises de suivre ces évolutions, mais aussi d’assurer des passerelles entre les réseaux sociaux et les achats en ligne, tout comme la mise en place d’infrastructures adéquates. « De plus en plus d’internautes achètent du vin en ligne et le secteur doit résoudre les problèmes de transport. Il faut de l’innovation dans ce domaine pour que le commerce électronique puisse se développer, à un coût acceptable pour le consommateur ».
*Ce livre, qui s’intitule Successful social media and ecommerce strategies in the wine industry, est paru chez Palgrave Macmillan et a été co-signé par Gergely Szolnoki et Dani Kolb.