Vallée du Rhône sud
Retour vers le "conventionnel" pour des viticulteurs en bio

Les viticulteurs bio en Vallée du Rhône méridionale connaissent des difficultés importantes liées à des pertes de récolte et des valorisations qui restent faibles. Certains préfèrent donc arrêter et repasser en conventionnel. Explications et témoignages.
Les viticulteurs certifiés en agriculture biologique de la Vallée du Rhône méridionale sont en pleins doutes. Le Black Rot, maladie qui a causé d'importants dégâts cette année dans le Gard et en Vaucluse, a entraîné chez eux des pertes de récolte parfois conséquentes, jusqu'à la moitié pour certaines exploitations. « Cette année était vraiment catastrophique ; cela va être difficile pour elles... », résume Yves Favier, viticulteur en AOC Ventoux. Dans ce secteur situé au pied du Mont Ventoux, particulièrement concerné par le phénomène, ils sont donc une poignée - trois ou quatre viticulteurs – à avoir décidé, comme lui, de « repasser en conventionnel » à partir de l'an prochain. « Je préfère me laisser la possibilité, si nécessaire, de traiter. Nous n'avons pas les moyens de perdre une récolte », justifie celui-ci.
Du côté de la cave coopérative de Sérignan-du-Comtat (Vaucluse), qui commercialise environ 6.000 hectolitres de vins certifiés AB en appellations Côtes-du-Rhône, Côtes-du-Rhône villages et vin de Pays, le constat est identique : « Sur nos onze viticulteurs apporteurs, un a déjà arrêté, et les dix autres se posent des questions...reconnaît Pascal Duffrene, président de la cave. Et je sais que les autres caves coopératives voisines sont dans le même cas... ».
Cette décision s'appuie également sur le fait que les rendements actuels « ne sont pas pléthoriques » : « Ils sont loin d'atteindre les rendements de base...Et perdre 20% sur une grosse récolte n'est pas la même chose que de perdre 20% sur un petit rendement. Il est impératif pour nous d'avoir une récolte pleine... », explique Yves Favier.
Aux problèmes de maladie et de faibles rendements, il faut ajouter comme difficulté celle liée au marché : les valorisations que tirent les opérateurs des vins bio restent faibles. Sur le marché vrac, les cours de l'AOC Côtes-du-Rhône bio restent supérieurs aux conventionnels, mais l'écart de prix a tendance à rétrécir. Valorisé l'an dernier à 170€/hl, le prix moyen du vin bio cette campagne est actuellement de 160€/hl. Pendant ce temps, le « conventionnel » se vend en moyenne à 140€/hl, soit à peine 15% de moins... « Le rapprochement des courbes de prix est lié à un problème de déséquilibre entre la production, qui a augmenté de façon très rapide, et la commercialisation, qui met plus de temps à se développer, analyse Philippe Pellaton, président du syndicat des Côtes-du-Rhône. L'excès de volume amène une dégradation du prix ». Les opérateurs peinent en effet à s'ouvrir de nouveaux marchés, en tous cas pas suffisamment vite. Pour Pascal Duffrene, le vin issu de la viticulture biologique souffre d'un « manque d'attractivité » auprès des consommateurs : « Très peu achètent ces vins parce qu'ils sont bio, mais plus parce qu'ils sont bons ; le bio n'est pas le réflexe d'achat numéro 1 pour le vin », explique celui-ci.
Ce différentiel, devenu trop faible, cumulé aux pertes de récoltes, font que certains préfèrent renoncer. « La conjoncture n'aide pas, résume Yves Favier. La prise de risque est trop importante (ndlr : de ne pas pouvoir se protéger en cas d'attaque) par rapport à la plus-value apportée par le bio, qui reste insuffisante ». « Seuls resteront à la fin les viticulteurs vraiment motivés pour continuer, ou ceux qui auront acquis une très bonne technicité », conclut Pascal Duffrene.... Faut-il y voir là une méthode « douce » qui permettra d'épurer progressivement le marché d'une offre devenue trop abondante ?
[crédit photo: J Cassagnes]