a presse grand public n’attend plus les foires aux vins d’automne pour aligner les titres jetant l’opprobre sur la filière vin (cf. Que Choisir en 2022, le Canard enchaîné en 2023 ou 60 millions de Consommateurs en 2024). Ce mercredi 9 juillet tenait du feu d’artifice en la matière : "30 à 40% de fraudes dans le secteur viticole : les chiffres impressionnants de la Répression des fraudes" pour FranceBleu "Fraude dans le domaine du vin : 30% des producteurs ont des pratiques œnologiques déloyales" pour FranceInfo, "Fraude massive dans la filière vin : jusqu’à 40 % des établissements concernés" pour RTL… Des affirmations au mieux simplifiées, au pire erronées, quand on reprend le communiqué à l’origine de cet emballement médiatique.
Publié ce 9 juillet, le bilan des actions menées en 2022 et 2023 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) indique avoir « contrôlé plus de 7 800 établissements sur la traçabilité des vins, les pratiques œnologiques et la loyauté de l’information délivrée aux consommateurs » de « la production et à la distribution » sachant que « la majorité des établissements sont en conformité, mais plus de 30 % des établissements à la production et plus de 40 % à la distribution présentent des manquements de gravité variable ». Voici d’où viennent les chiffres mis en avant, mais qui ne représentent pas la totalité de la filière, seulement les établissements contrôlés par les Fraudes.
La DGCCRF précise avoir contrôlé « à la production, plus de 1 600 établissements (récoltants, caves coopératives, négociants et négociants vinificateurs, mais aussi fabricants de produits œnologiques, tonneliers, transporteurs) ». Sachant qu’il y a 59 000 exploitations viticoles d’après l’étude du cabinet Deloitte pour Vin & Société en 2024, l’échantillon en question ne représente même pas 3 % de la filière viticole (sans même compter les fournisseurs et logisticiens également contrôlés). Non seulement faible par rapport à l’ensemble de la filière, l’échantillon n’est pas représentatif, le choix des entreprises visitées par la DGCCRF n’étant pas toujours si inopiné et innocent. Ce que reconnait d’ailleurs l’administration dans son communiqué : « l’efficacité du ciblage pratiqué par les enquêteurs de la DGCCRF, et ne saurait refléter l’importance de la fraude sur le marché ».
Ainsi, sur un petit échantillon non-représentatif, il est rapporté que « si la plupart des opérateurs sont en conformité avec la réglementation, 38 % d’entre eux présentent des manquements de différentes natures justifiant 580 avertissements pour les manquements (tels que des non-conformités mineures en matière d’étiquetage, comme sur le degré alcoolique), 250 injonctions de mise en conformité (pour des défauts de traçabilité ou des présentations confusionnelles, comme des vins de négoce présentés en tant que vins de domaines, des allégations environnementales injustifiées), plus de 20 amendes administratives et 150 procédures pénales concernant les pratiques les plus graves – soit environ 15 % des suites (telles que la falsification des registres de production, l’ajout d’ingrédients non autorisés tels que l’eau ou les colorants, ou encore l’ajout de sucre au-delà des seuils autorisés) ». Finalement, il y a eu 170 pratiques de fraudes graves relevées sur ces 1 600 contrôles : soit 10 % sur un échantillon biaisé qui pèse pour moins de 3 % des opérateurs de la filière. Il aurait été plus juste de dire que les Fraudes n’ont épinglé que 0,3 % des producteurs de vin pour des pratiques graves. Mais quand la légende dépasse la vérité…
Courroux vignerons
Face à ces titres à l’emporte-pièce, la filière viticole bout d’incompréhension, critiquant aussi bien la communication de la DGCCRF que ses reprises. « Ce communiqué de presse tombe au plus mauvais moment : il jette le discrédit sur une filière qui souffre et qui se bat pour sa survie » tacle Jérôme Bauer, le président de la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin AOC (CNAOC). « Dans un contexte de crise aiguë, où les viticulteurs arrachent leurs vignes faute de débouchés, ce genre de communication ne fait qu’aggraver le malaise et démobiliser les producteurs » pointe le vigneron alsacien, relevant que « les chiffres bruts sont affichés sans réelle contextualisation, laissant croire à une généralisation des fraudes, alors que l’immense majorité des opérateurs sont honnêtes et engagés. Quand on regarde dans le détail, on se rend compte en plus que la grande majorité des "fraudes" sont des non-conformités étiquetage ! Alors que cela fait 5 ans que la filière attend de la part de la DGCCRF un guide étiquetage, c’est tout de même un comble ! »
Président des Vignerons Indépendants de France, Jean-Marie Fabre abonde : « dans un contexte déjà très défavorable depuis 5 ans et au regard du poids de notre filière dans la performance économique française, dans celle de nos territoires, on attend un autre accompagnement de l’administration française auprès de la filière, plus de retenue dans sa communication populiste pour s’attacher à son rôle premier ! » Le viticulteur languedocien soulignant que « la parution de ce communiqué de presse des Fraudes est particulièrement préjudiciable pour la filière viticole française dans son ensemble, mettant en avant des pourcentages alarmistes sans rapport avec la réalité de la filière, ce qui est précisé de manière bien trop illisible pour qui veut faire des gros titres. »


« La filière n'avait pas besoin de cela dans ce moment de crise inédit » confirme Gérard Bancillon, le président de la fédération des vins à Indication Géographique Protégée (Vin IGP). Le vigneron gardois temporise et précise que « vu l'état de la filière et surtout des producteurs qui dans leur immense majorité sont des gens honnêtes et consciencieux certains comportements sont inadmissibles et doivent être réprimandés avec la plus grande fermeté ! La tromperie sur l'origine ou la substitution de produits est une spoliation du travail fait par le collectif depuis des années et jette le doute sur nos vins qui n'en ont pas besoin dans cette période de de consommation effrénée ! Le pire c'est que souvent les condamnations financières des tribunaux sont inférieures aux gains générés par la fraude, ce qui conforte les passagers clandestins... »
« Ces contrôles protègent tant les consommateurs que les professionnels » indique justement la DGCCRF dans son communiqué. « Nous ne remettons pas en cause la nécessité de contrôles. Mais publier un tel communiqué en pleine période de tension revient à pointer du doigt toute une profession sans discernement » analyse Jérôme Bauer, pour qui « ce type de communication publique, sans concertation avec les représentants professionnels, est contre-productif et nuit à la relation de confiance entre l’administration et le terrain. »