allotés comme un bouchon flotteur sur le fleuve intranquille de l’accès au marché américain, les exportateurs de vins et spiritueux restent entre deux eaux : ils reprennent leur souffle en espérant sortir du maelström et ne pas être momentanément dans l’œil du cyclone. Après les tsunamis des annonces du président américain Donald Trump (passant successivement de 200 % sur les vins français le 13 mars à 20 % sur tous les produits européens le 2 avril avant de mettre en place10 % pendant 90 jours le 9 avril pour la majorité des biens), la situation actuelle semble presque être apaisée, avec une forme de stabilité, à défaut de normalisation de l’activité un mois après les premiers droits de douane américains.
Après des mois de stockage (de novembre à janvier dernier) et d’incertitudes (février et mars), les expéditions ont repris bon gré mal gré rapporte Gabriel Picard, le président de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), notant que les commandes suspendues sont globalement reparties, mais qu’il n’y a plus de phénomène de stockage et que si les chiffres export d’avril ne sont pas connus, le mois de mai risque d’être mitigé (entre faible accès aux containers et succession de jours fériés en France). Dans l’immédiat, les exportateurs français comme les opérateurs américains n’ont pas digéré les 10 % de taxes actuellement en vigueur : « les discussions sur la chaîne de valeur se poursuivent pour voir comment l’absorber » note le négociant bourguignon, soulignant que les taxes douanières ne sont pas les seules à peser sur le commerce des vins et spiritueux.


Avec l’affaiblissement du dollar face à l’euro (la quasi-parité se transformant en 1 € = 1,14 $ sur un trimestre), le taux de change s’ajoute finalement aux droits de douane pour la compétitivité des bouteilles européennes : « c’est comme si on les avait doublés, en ajoutant 10 % aux 10 %. Tout ça fait que si la vie normale des affaires peut repartir, il n’y a pas de perspective puissante et forte qui pousse à surstocker ou à faire confiance dans l’avenir » pointe Gabriel Picard, relevant que l’activité économique des États-Unis devient également imprévisible, avec un repli du niveau de confiance des Américains dans l’avenir qui pèse sur leur consommation. De quoi ajouter de la prudence alors que les incertitudes persistent.
Si dans leur guerre commerciale avec le monde les États-Unis viennent de signer ce 8 mai un premier accord avec la Grande-Bretagne, la Commission Européenne fait des appels de pied pou ne pas être oubliée (avec, si les négociations transatlantiques échouent, l’établissement en cours d’une liste de produits américains à taxer et la menace d’une saisie de l’Organisation Mondiale du Commerce, OMC). Il faut dire que les négociateurs de la Maison Blanche semblent plus focalisés sur la Chine que sur l’Europe. Entre Washington et Bruxelles, « c’est plus un sujet de bande passante que de mauvaise connexion » qui explique la lenteur des négociations pour Gabriel Picard, qui imagine une accélération dans les prochaines semaines, avec un moment crucial en juin quand le délai des 90 jours approchera de son terme. « Dans l’entre deux, nous avons bon espoir que l’on arrive à trouver une base d’accord durable » indique le président de la FEVS, notant qu’il y a « sur la table une proposition de zone de libre-échange, 0 pour 0, qui a été verbalisée par l’Union Européenne pour l’industrie, mais qui pourrait être élargie aux secteurs souhaitant en bénéficier comme les vins (sans embarquer les secteurs agricoles ne le souhaitant pas) »