près des années d’envoi de mails et de coups de téléphone allant de la préfecture de Gironde au palais de l’Élysée, le résultat est là pour vigneron Jérémy Brun : les 5 hectares de vignes laissées en friche depuis 2018 ont été arrachées ce printemps sur la commune de Galgon (Gironde). « Je ne sais pas par quel moyen, par quelle pression, si c’est l’intervention du préfet ou la crainte d’une amende… » esquisse Jérémy Brun, le copropriétaire du domaine du Carrelet (à Saillans), qui n’a qu’une certitude : « c’est le résultat qui compte. Et je suis soulagé ! » De quoi retrouver en sérénité pour le début de ce déjà pluvieux millésime 2025, alors que les parcelles en cause causaient jusqu’à 60 % de pertes de récolte (mildiou et botrytis) et font partie d’un imbroglio particulièrement complexe.
Ces parcelles en déshérence appartenant au château Chabiran, racheté en 2013 par le groupe chinois Haichang et son propriétaire, le milliardaire Naijie Qu, dont les 9 châteaux sont confisqués depuis 2024 pour détournement et blanchiment de 30 millions €. Actuellement, le château Chabiran est exploité en fermage par le château Branda, qui n’a pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere à date de publication. On y entend cependant la confirmation que les parcelles de Galgon ont été arrachées : « comme ça peut être constaté. Ça règle le sujet. Pour cette propriété et d’autres, la problématique c’est la survie alors que le tonneau coûte 2 000 € à produire que l’on voit des ventes à 600 € » glisse un proche du château Chabiran, qui ne précise pas les modalités de l’arrachage : à savoir s’il est géré par la seule propriété ou financé par un dispositif national (arrachage définitif financée par les fonds Ukraine) ou régional (arrachage sanitaire contre la flavescence dorée financé par l’État ou l’interprofession du vin de Bordeaux, le CIVB).


« Ce sont des vignes abandonnées depuis des années, elles ne peuvent bénéficier des aides à l’arrachage. Ça serait osé… Mais tout est possible » grince Jérémy Brun, qui reste concentré sur le soulagement de cet arrachage enfin réalisé. Une avancée obtenue après des années d’interpellations des pouvoirs publics et de la presse pour demander un arrachage administratif (possible, mais aussi rare que complexe à obtenir), ce qui en a fait un « porte-étendard » des défis posés par les vignes abandonnées : « des maires et vignerons m’appellent pour savoir comment faire. De mon expérience, c’est à force de lettres et relances à l’Élysée, à Matignon, aux ministres de l’Agriculture, à la préfecture, à la DRAAF (Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt) au GDON (Groupement de Défense contre les Organismes Nuisibles)… »
Coups de pression de la préfecture
Mobilisant actuellement les parlementaires (avec un projet de loi porté par le député Hubert Ott pour créer une contravention de 1 500 €), l’enraiement de l’extension des vignes en friche met sur le pied de guerre les services de la préfecture de Gironde. Depuis l’an dernier, ses services ont mis en place, avec les parquets des tribunaux de Bordeaux et Libourne, des procédures pénales aboutissant à des propositions de transactions plafonnées à 5 000 € pour les vignes en friche. Cette expérimentation inédite repose sur la menace brandie de l’article 251-20 du Code Rural (« le non-respect de mesures ordonnées de prévention, de surveillance ou de lutte est incriminé par un délit, soit 6 mois d’emprisonnement et 150 000 € d’amende »). « L’État est pleinement mobilisé contre les vignes en friche » indique le communiqué de la cellule opération viticulture réunie ce 16 avril à la préfecture, indiquant que la mise en œuvre de quatre « procédures pénales à l’encontre de propriétaires de parcelles non cultivée [qui] ont conduit trois exploitants à réaliser l’arrachage de leurs parcelles ». D’après des éléments consultés par Vitisphere, ces quatre premiers dossiers ne concernent pas la commune de Galgon, mais des parcelles sur les communes de Cabara, Plassac, Rions et Saint-Aubin-de-Branne. En 2025, il y aurait déjà eu deux procès-verbaux dressés sur les communes girondines de Sainte-Florence et de Saint-Jean-Blaignac.
Autre expérimentation en côtes de Bourg et de Blaye : « 106 exploitants ou propriétaires de 514 parcelles identifiées comme non cultivées (environ 300 hectares) ont été destinataires d’un courrier » de la sous-préfecture de Blaye avec « un rappel à leurs obligations réglementaires et les informant de dispositifs d’accompagnement tels que le boisement ou la diversification avec des points de contact ». Résultat, « près de la moitié des parcelles a fait l’objet d’un arrachage volontaire ou est en cours de procédures d’arrachage » rapporte la préfecture.
De quoi donner une nouvelle dynamique contre les vignes en friche (et leurs réservoirs à maladies), qui continuent cependant de se multiplier face à la crise viticole actuelle. Sur Galgon et ses environs, Jérémy Brun constate le basculement à l’abandon de vignes jusque-là entretenues. La lutte continue.
* : Mais pas la flavescence dorée, qui n’a pas été détectée dans les vignes abandonnées (cette maladie de quarantaine pouvant imposer l’arrachage).
Affaire classée après l'arrachage de ce printemps 2025 pour le domaine du Carrelet. DR
Jérémy Brun et les vignes abandonnées cet hiver 2024. DR