u lendemain des annonces du président américain Donald Trump de droits de douanes réciproques de 10 % minimum pour tout produit rentrant aux États-Unis et de 20 % en particulier pour les expéditions européennes, le président français Emmanuel Macron réunit ce jeudi 3 avril l’exécutif français (premier ministre, ministres de l’Agriculture et du Commerce extérieur, commissaire européen au commerce intérieur…) et toutes les filières concernées par cette guerre commerciale à l’Élysée : agriculture, aéronautique, cosmétiques, chimie, luxe, pharmaceutique, vins et spiritueux… L’occasion d’entendre les positions des uns et des autres face à cette déclaration de guerre commerciale. Et il y a un consensus rapporte Gabriel Picard, président de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS) représentant la filière lors de ces échanges : « tout le monde est d’accord pour que l’Union Européenne réagisse de manière ferme, mais calibrée et proportionnée. Ce sont les propos tenus par le président. Personne ne souhaite une escalade, tout le monde veut la désescalade : ce qui n’empêche pas le rapport de force. »
Également présent comme premier vice-président de la FNSEA pour porter les enjeux des filières agricoles et agroalimentaires (produits laitiers dont les fromages, huile d’olive…), Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer pointe que si la fermeté des négociations commerciales est compréhensible, il faut éviter toute escalade punitive : le contre-exemple étant la risposte européenne aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium qui a visé les bourbons et entraîné une menace de réplique américaine de 200 % sur les vins et spiritueux français. « Il faut sortir tous les produits agricoles et agroalimentaires de ces listes d’agenda de rétorsion » plaide Jérôme Despey, qui indique que « la Commission européenne doit présenter mi-avril une nouvelle liste d’agenda de rétorsion en réplique aux droits de douanes infligés. Une autre liste liée aux déclarations de 20 % de taxes sera annoncée fin avril. » Sur ce sujet, Emmanuel Macon a annoncé travailler à sortir le bourbon de ces listes, ce qui va dans le sens de la désescalade demandée par la filière (voir encadré).
« En la matière, l’intention française est claire » confirme Gabriel Picard, pour qui « la tonalité générale est de dire que la réponse de l’Europe ne peut pas mettre inutilement les bourbons du Kentucky et les vins californiens sur des listes, car c’est inopérant. » La Commission européenne va devoir formuler des mesures de rétorsion tapant juste l’économie américaine pour installer un rapport de force, sans exposer des secteurs économiques habituellement ciblés (en témoignent l’enquête antidumping en Chine visant Cognac, le conflit Airbus Boeing avec ses premières taxes Trump…). Ce printemps 2025, l’exercice d’équilibriste s’annonce périlleux pour Bruxelles.
Mais l’objectif est fixé : « il faut éviter de remettre une menace d’augmentation des droits de douane. Ce serait particulièrement catastrophique, ces taxes amènent déjà suffisamment de pression » alerte Jérôme Despey. Contrairement à ce qui pu être ressenti récemment, sur le dossier du bourbon ou de Cognac en Chine, « les vins et spiritueux n’ont pas à faire paratonnerre » pour les autres industries européennes pose Gabiel Picard, pour qui « le message est clairement passé ». Notant « l’engagement de l’exécutif plus important qu’il y a quelques mois », le négociant bourguignon salue cette évolution, tout en reconnaissant qu’elle est nécessaire, mais pas suffisante.
Les communiqués diffusés ce 3 avril par la filière vin sont unanimes : la balle est dans le camp de Bruxelles et de Paris face à Washington. « Les maisons de vin du Languedoc appellent à des mesures concrètes pour des relations commerciales fructueuses et réciproques avec les Etats-Unis » renchérit l’Union des Entreprises Viticoles Méditerranéennes (UEVM). Depuis Madrid, l’interprofession du vin d’Espagne (OIVE) « appelle à des efforts conjoints pour protéger un secteur stratégique des mesures qui compromettent sa compétitivité et sa stabilité ».
« Nous en appelons aux pouvoirs publics, tant au niveau européen que national, pour renégocier ces mesures et trouver des solutions afin d’en limiter les répercussions sur nos vignerons » déclare Denis Verdier, le président de la Fédération Gardoise des Vins IGP, rappelant que « notre filière traverse déjà une crise économique profonde, et cette nouvelle menace ne fait qu’aggraver la situation ». Évoquant « un secteur déjà éprouvé », l’Assemblée des Régions Européennes Viticoles (AREV) pointe que « cette mesure inéquitable » doit être combattue diplomatiquement. « Consciente que les marges de négociations sont particulièrement complexes », l’AREV « invite la Commission européenne […] à faire preuve de la plus grande sagesse dans ses réponses pour faire face à l’instrumentalisation actuelle des droits de douane comme une arme économique. »
Alors que des commandes sont déjà annulées, l’AREV évoque la « nécessité de déployer un fonds de soutien à destination du secteur viticole en cas de déstabilisation commerciale ». Ce que soutient également la Confédération Européenne des Vignerons Indépendants (CEVI), qui rappelle la proposition de la Commission Européenne de filet de sécurité ("Unity Safety Net") qui serait « destiné à protéger les secteurs agricoles touchés par des conflits commerciaux extérieurs au secteur. Il revient à la Commission européenne de mobiliser sans délai les financements nécessaires et de donner une portée concrète à cette mesure. »