haque semaine pendant la période végétative, les chambres d’agriculture diffusent un bulletin de santé du végétal (BSV) porteur des dernières observations des stades phénologiques et des attaques parasitaires dont souffre le vignoble. C’est le fruit du travail d’observateurs consciencieux, parmi lesquels de nombreux viticulteurs.
À Santenay, en Côte-d’Or, le domaine du Château Philippe le Hardi, 65 ha, met à disposition du BSV deux parcelles de pinots noirs. « J’ai un témoin non traité (TNT) de 700 m2 et une parcelle de référence de 1 ha, choisie pour sa sensibilité au mildiou, expose Laurent Monnet, responsable du vignoble de ce domaine aujourd’hui labellisé bio. Nous sommes entrés dans le circuit du BSV en 2016, à l’initiative d’une collègue. Mais nous avons un TNT depuis 2004, créé à l’époque pour la certification Terra Vitis. »
La chambre d’agriculture le sollicite dans l’observation du mildiou, de l’oïdium et du black-rot. En contrepartie, il entretient une relation privilégiée avec son référent à la chambre d’agriculture. « L’information circule tous les jours en cas d’alerte et ce, dans les deux sens, indique-t-il. Si une parcelle décroche quelque part, on est prévenu en tant qu’observateur. » Laurent Monnet estime aussi que « le fait de partager les données avec des confrères vignerons ajoute de la valeur aux observations menées au domaine ».
« C’est le collectif qui crée l’intérêt de la démarche », abonde Aymeric Hervy, directeur du vignoble du Château Pichon Baron, 75 ha à Pauillac. Ce domaine girondin renseigne le réseau BSV depuis plusieurs années à propos des maladies cryptogamiques, à partir de son TNT de merlot. « Plus il y a de domaines à observer et renseigner, meilleur est le reflet de la situation sanitaire », plaide-t-il.
Thierry Massacré, viticulteur sur 23 ha à Lignières-Ambleville, en Charente, ne le contredira pas. Car selon lui, « le partage est une question de culture et d’envie ». Mû par une grande curiosité personnelle, il est passé maître dans l’observation des vols de tordeuses de la grappe, qu’il évalue grâce aux captures réalisées dans les pièges sexuels et les pièges alimentaires que la chambre d’agriculture lui fournit. « Dans le cadre du BSV, on me demande uniquement de compter les papillons. Mais je compte les femelles et les mâles dans les pièges alimentaires, de façon à anticiper les dates de pontes et ainsi mieux positionner mes traitements. Je partage cette info avec le négoce Isidore. »
Thierry Massacré remonte aussi au BSV ses captures de cicadelles des grillures, ainsi que les attaques de maladies sur son TNT de 200 pieds d’ugni blanc.
Être observateur pour le BSV n’est toutefois pas dépourvu de contraintes. La régularité est un impératif : impossible de « sauter » une semaine. « On reçoit les consignes de la part de la chambre le vendredi et on observe nos deux parcelles le lundi, relate Laurent Monnet. Lors des premières observations, détecter une contamination est rapide. Mais s’il faut indiquer le pourcentage de feuilles contaminées alors qu’une maladie est installée, cela prend plus de temps. »
Pour sa part, Thierry Massacré consacre jusqu’à 45 minutes au dénombrement des papillons capturés dans ses pièges. « 10 minutes pour les deux pièges à confusion sexuelle, et 30 minutes pour les deux pièges alimentaires. On fonctionne souvent à deux : un qui observe, et l’autre qui prend en note. »
Une fois les observations réalisées, reste à renseigner le logiciel du réseau. Au plus tard à 16 h 00 le lundi. « Cette étape ne prend que quelques minutes, indique Aymeric Hervy. On y accède avec son identifiant et son mot de passe, puis on clique sur sa parcelle dans la liste préétablie. »
Quant à savoir dresser une observation efficace, Thierry Massacré dit avoir beaucoup appris en fréquentant les groupes de lutte raisonnée menés par la chambre d’agriculture. « Et quand j’ai eu un doute pour noter l’intensité et la fréquence d’une attaque de mildiou ou d’oïdium, un conseiller est venu me montrer. »
Pour le personnel et notamment les jeunes, l’observation offre un terrain d’apprentissage. Laurent Monnet a ainsi formé une alternante et une stagiaire dans le but de le relayer à cette tâche. Thierry Massacré a aussi formé sa salariée, une jeune femme de 30 ans. « C’est important de transmettre. D’autant plus qu’elle se prend au jeu. Quand on observe ensemble, on se lance parfois dans un petit concours, avec en jeu du chocolat pour le premier qui a trouvé ! »
Les observateurs qui contribuent au BSV se réunissent deux fois l’an, en début de campagne et après les vendanges. « J’encourage mes voisins à me rejoindre dans la démarche, rapporte Thierry Massacré. L’un d’eux observe maintenant les cicadelles des grillures. » Une autre forme de contagion, bien positive celle-là.
Thierry Massacré, viticulteur sur 23 ha à Lignières-Ambleville, en Charente. « Je mène des observations pour le BSV. Par esprit d’équipe, mais aussi pour moi, parce que l’observation, c’est le meilleur outil d’aide à la décision. Je possède 6 ha sous confusion sexuelle, le reste est en lutte insecticide. Depuis deux ans, je ne prends plus de tordeuses dans les pièges alimentaires sur ces 17 ha. En me fiant à ces observations, j’ai arrêté les traitements insecticides. L’impact sur l’IFT est important ! » « Cette année, je tente aussi de changer d’orientation dans mes 6 ha confusés. Je vais supprimer les racks de confusion sexuelle et poser un troisième piège alimentaire. Selon les captures dans ce dernier, je traiterai ou non avec Exployo Vit, la phéromone qui s’applique en pulvérisation. De quoi réduire le coût de la confusion sexuelle. »