C’est toujours compliqué de choisir le bon moment pour démarrer la lutte contre le mildiou, affirme Lucas Pauvif, vigneron sur 45 ha à Teuillac, en Gironde. Nous voulons traiter de bonne heure, même si les indicateurs ne suggèrent pas de risque fort, afin d’être couverts. Mais avant de mettre tout le matériel en route, nous nous concertons avec mon frère Pierre, pour estimer les surfaces où la pousse est assez avancée afin de voir si ça vaut le coup. » À la tête du Château Vieux Plantier, tous deux s’appuient sur un maximum d’éléments afin de décider de la date d’application de leur premier antimildiou : le stade de la vigne, les bulletins de la chambre d’agriculture, les indications d’EPIcure – le modèle informatique développé par l’IFV – et la pluviométrie relevée par leur station météo.
À Saint-Nicolas-de-Bourgueil, en Indre-et-Loire, Jean-François Roit-Lévêque, responsable vigne du Clos des Quarterons, nourrit lui aussi sa pratique de données multiples. « Toutes les informations sont importantes pour déterminer quand démarrer, d’autant qu’avec le réchauffement climatique, les conditions d’apparition du mildiou peuvent être réunies dès la fin mars. »
Le Clos des Quarterons, c’est 40 ha en bio et biodynamie. En plus de suivre le débourrement, son responsable technique s’appuie sur une batterie de données : les relevés de ses six stations et de ses cinq capteurs Leafcrop, ainsi que les indications de l’OAD Rimpro.
« Nos vignes sont réparties sur une quinzaine de kilomètres. Les stations météo et les capteurs nous permettent de piloter la protection selon les parcelles et la pluviométrie. Les capteurs Leafcrop nous renseignent sur l’humectation des feuilles. L’OAD, lui, nous fournit le suivi de la maturité des œufs d’hiver. Dès que les spores arrivent à maturité et que les conditions sont favorables à la maladie, nous effectuons le premier traitement, par secteurs, sur deux à trois jours afin de couvrir l’ensemble des vignes. »
Directeur vignoble des 13 ha du Château de Boursault, dans la commune marnaise du même nom, Kévin Brunel n’utilise plus d’OAD. « Jusqu’en 2022, nous avons utilisé Movida, de Bayer, mais ses prévisions n’étaient pas assez fiables. Depuis, nous attendons l’OAD idéal. Nous nous basons sur les messages de la chambre d’agriculture et du Comité Champagne, afin d’être informés de la maturité des œufs d’hiver. Nous nous appuyons aussi sur notre station météo et sur le stade de la vigne. »
À partir de cette année, il va toutefois disposer d’un nouvel outil : « Des capteurs développés par Chouette, capables de détecter les taches de mildiou et les différences de vigueur au sein des vignes. Mais cela nous aidera avant tout à piloter la lutte durant la saison ».
À Vendres, dans l’Hérault, Pierre Calmel est attentif aux données de la station météo de sa coopérative, Les Vignerons de Sérignan, située en plaine, et de celle d’un domaine voisin située sur autre un secteur. « Nous échangeons nos informations avec ce domaine. À la cave, nous avons aussi un groupe de viticulture durable, animé par un technicien de la chambre d’agriculture. Ensemble, nous faisons des tours des parcelles afin de détecter la première tache de mildiou, après quoi nous réalisons le premier traitement. »
Jean-François Roit-Lévêque accorde lui aussi beaucoup d’importance aux discussions avec ses voisins. « Ces échanges sont essentiels. Ils permettent de mettre le doigt sur des particularités de terroirs. On apprend des erreurs des uns et des autres. »
Pour sa part, Kevin Brunel n’échange qu’avec un seul collègue, qui partage sa philosophie. « Je ne me fie pas aux autres, explique-t-il. Je suis aussi en lien avec des conseillers de la chambre d’agriculture et des technico-commerciaux de la distribution. » Lucas Pauvif, lui, écoute son distributeur : « Il nous indique quand le voisinage met ses pulvés en route ».
« Je ne m’occupe pas de mes voisins, lâche pour sa part un viticulteur champenois. Je m’aligne sur les dates préconisées par la chambre et par le Comité Champagne. Et je choisis mon créneau selon la pluviométrie et le vent. »
Aucun des vignerons que nous avons contactés n’étudie directement les modélisations du mildiou. « Nous nous appuyons sur notre technicien, qui sait interpréter les modèles », commente Pierre Calmel. « Il peut y avoir de grandes différences d’une parcelle à une autre, que les modèles ne voient pas », relève Lucas Pauvif.
Au domaine Preignes le Vieux, à Vias, dans l’Hérault, Aurélien Greuzard ne tient pas non plus compte des modèles, et ne s’appuie guère sur sa station météo pour positionner son premier antimildiou. « Notre vignoble est à deux kilomètres de la mer. Tous les matins, nous avons de la rosée, que notre station ne mesure pas. Comme on ne peut pas se fier aux modèles, je traite systématiquement au stade 2-3 feuilles étalées. » Il semble que rien ne vaille la connaissance intime de ses parcelles.
En Gironde, Lucas Pauvif relate son changement de pratique. « Avant, nous avions tendance à démarrer la lutte contre le mildiou un peu tard. Puis nous nous sommes informés sur le mode d’action du folpel et des phosphonates afin de les positionner au mieux, au-delà du discours des marques et des slogans. » Une démarche payante. « L’an dernier, nous avons effectué le premier traitement le 13 avril. Les vignes étaient seulement à 2-3 feuilles étalées. Mais les œufs de mildiou étaient mûrs, la température douce et la météo annonçait de la pluie. Finalement, nous n’avons pas eu de perte de récolte. » En Champagne, Kevin Brunel démarre aussi plus tôt. « En 2021, nous avons fait le premier traitement le 12 mai. Il y avait déjà trois cycles de mildiou en route, mais pas de taches dans nos vignes. Nous sommes intervenus avant une pluie. Et ensuite, les orages en juin ont fait des dégâts. En 2024, on a débuté au 8 ou 9 avril. »