e casque sur la tête, une commande dans chaque main, Justine fait claquer son sécateur virtuel. Sous ses yeux, un cep plus vrai que nature que son formateur Laurent Mabille et ses camarades de deuxième année de BTSA Viticulture œnologie (BTSA VO) à l’institut de Richemont (Charente), voient sur grand écran afin de suivre son travail. « Ça vous plaît les autres, interroge l’enseignant. Par rapport au respect des deux trajets de sève, on est bon ? » L’assistance suggère quelques ajustements, une coupe plus basse ici, le maintien de telle baguette là, plutôt que celle choisie par Justine.
Depuis novembre dernier, l’établissement situé près de Cognac fait le pari de la réalité augmentée pour apprendre la taille, de façon « ludique, technique et scientifique » selon Laurent Mabille. L’idée ? Prendre du temps en salle de classe – « une bonne trentaine d’heures en tout » –, en sus du terrain pour initier ou perfectionner les 45 élèves en BTSA VO sans risque pour leur sécurité, sans craindre de massacrer des pieds.
« On peut reprendre des points de difficulté sans retourner sur la parcelle, à tout moment, quelle que soit la météo » apprécie Alexandre, l’un des élèves, rompu à la taille qu’il exerce depuis son Bac Pro Conduite et Gestion de l’entreprise vitivinicole. « Ça enlève le stress de l’erreur nocive que l’on peut commettre en condition réelle » appuie Thibault, élève en première année de BTS, qui ne savait pas tailler les vignes avant cette formation. « J’ai pratiqué deux semaines en entreprise avant d’utiliser le casque. Avec la réalité virtuelle, j’ai constaté assez vite que j’avais tendance à parfois couper trop ras, je suis maintenant plus vigilant. »
Laurent Mabille place surtout l’outil, dénommé Ampélos, au service de l’enseignement de la taille non mutilante, garante de productivité à long terme. « Nous avons plus de temps pour apprendre à lire le pied, les différents âges du bois, les trajets de sève. »
Thibault dit ainsi « mieux [se] représenter » ces trajets sur le cep. « Quand on les voit sur Ampélos, modélisés par des courants de couleur, c’est beaucoup plus marquant qu’un dessin en coupe. On tourne autour, on comprend tout de suite : dans la parcelle, j’appréhende mieux les zones de sécurité à mettre en place pour éviter le desséchement. »
Ampélos « est stupéfiant de réalisme, témoigne Théo, en deuxième année, tailleur depuis l’an passé. Plus il y aura de scans, mieux ce sera, mais on arrive déjà à être très précis, à laisser des couronnes, à voir les bourgeons. » « C’est rassurant pour nous de comprendre ce qui se passe à l’intérieur du pied, poursuit un autre première année, Mathieu, frère de Thibault, avec qui il compte reprendre l’exploitation familiale de 40 ha. J’avais déjà l’expérience de deux saisons de taille en Beaujolais. On m’avait bien expliqué les gestes, mais ce n’est qu’avec Ampélos que j’ai pris conscience que je ne tenais pas assez compte du trajet de la sève lorsque je choisissais les lattes. Ce type d’outil va améliorer l’expertise des tailleurs. »
À la rentrée prochaine, trois nouveaux casques devraient rejoindre l’arsenal de Richemont. Pour « renforcer l’expérience, intégrer encore plus la taille virtuelle dans les apprentissages, avant d’aller sur le terrain, y compris en formation continue », annonce le formateur. En janvier, l’outil sera utilisé pour la première fois en tant que support d’évaluation.
« Je verrai au bout de deux promotions si les gestes de taille sont acquis plus vite ou non. Mais mon ressenti est que c’est le cas, entrevoit Laurent Mabille. Ampélos ne remplacera jamais la pratique, mais je suis persuadé qu’un BTS qui a découvert la taille avec cet outil a mieux compris et plus vite que les autres certaines exigences de la taille non mutilante. » De plus, cette solution « présente des atouts certains dans la prévention des risques professionnels, ajoute le directeur de l’institut, Yannick Laurent. À la demande de la MSA, elle intègre un outil de visualisation des postures qu’adopte le tailleur, au moyen d’un avatar et en temps réel. » Thibault et Mathieu disent y prêter déjà attention. Tailler en adoptant les bons gestes pour soi et pour la vigne : un beau programme.
Façonné depuis trois ans par le studio angoumoisin Nyx, Ampélos « n’a rien d’un gadget, balaie Laurent Mabille formateur à l’institut Richement à Cognac. C’est du sérieux qui repose sur du réel, construit avec des experts en taille de Simonit & Sirch, et validé par 16 centres de formation en France. » La première mouture de cet outil d’apprentissage de la taille par la réalité virtuelle ne traitait que de la taille de l’ugni blanc en Guyot à plat ou en arcure. « Depuis peu on a des tailles en cordon, en gobelet et la taille de formation des jeunes plants d’un à trois ans » détaille Laurent Mabille. « On va plus loin que le pied typique Guyot double un peu parfait, salue Alexandre, un élève en BTS. Ça élargit notre culture, notre savoir-faire, et améliore notre employabilité. » Outre Ampélos, le studio Nyx propose les outils de réalité virtuelle et augmentée E-CAB (conduite d’engins agricoles) et E-MAINT (maintenance d’engins agricoles et forestiers).