iticulteur à Montlouis-sur-Loire, en Indre-et-Loire, Frédéric Moreau cultive des couverts végétaux depuis dix ans : un mélange de féverole, avoine, lin, moutarde, phacélie, lentille… qu’il ne roule qu’en mai. Pour lui, ces couverts ne représentent pas une menace en cas de gel, pour peu qu’ils soient assez hauts. « Lors de gels jusqu’à - 2 °C, alors que les vignes avaient une ou deux feuilles étalées, j’ai constaté peu de dégâts lorsque mes couverts dépassaient les bourgeons de 5 à 10 centimètres, explique-t-il. À l’inverse, avec des couverts arrivant sous la ligne des bourgeons, comme en 2021, j’ai eu nettement plus de casse. » Il explique ce phénomène par le fait que le point de rosée se situe juste au-dessus du couvert.
En Suisse, des chercheurs de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique et de l’école Changins ont voulu savoir si les couverts dépassant les bourgeons ont un effet protecteur vis à vis du gel. Pendant trois ans, de 2022 à 2024 – de début avril à fin mai –, ils ont mesuré la température dans des parcelles avec des d’engrais verts très développés. Ils observent que les températures minimales sont toujours plus élevées – de 0,5 °C à 1,5 °C – au sein des couverts. Mais sur les trois années durant lesquelles les chercheurs ont réalisé leurs mesures, il n’a gelé qu’en 2024. Malheureusement cette année-là, le couvert n’a pas poussé assez haut pour couvrir les bourgeons, faute d’avoir été semé trop tard, et ceux-ci ont subi le gel. Dans une telle situation « le risque de gel se voit augmenté, le couvert bloquant les couches d’air froid », soulignent les chercheurs suisses qui déconseillent, finalement, de rechercher des couverts hauts pour protéger les vignes du gel car rien ne garantit de les obtenir et lorsque c'est le cas, ces couverts dépriment la pousse de la vigne (voir encadré).
Conseiller viticole indépendant en Charente, Pierre Forgeron estime que des couverts englobant les bourgeons sont susceptibles d’avoir un effet bénéfique en cas de gel. Mais cette protection n’est pas garantie selon lui, surtout avec ceux comportant beaucoup de féverole. « Cette plante apporte de l’humidité, souligne-t-il. En avril dernier, un vigneron que je connais avait des couverts à base de féverole qui avaient poussé jusqu’au premier fil de palissage, voire plus haut, dans un bas-fond très gélif. Lors d’une nuit à - 2 °C, il a eu plus de 20 % de dégâts. Pour espérer une protection contre le gel, il faut associer la féverole à des graminées et à des crucifères. »
Responsable de projets au Comité champagne, Basile Pauthier a un avis et des observations opposés sur la question. « Un couvert végétal plus haut que les bourgeons amplifie les dégâts de gel, assure-t-il. Nos essais menés de 2021 à 2023 le montrent. La température nocturne est inférieure dans les couverts, et l’humidité supérieure, d’où plus de dégâts sur les bourgeons. »
Vigneron à Ville-sur-Arce (Aube), Thibault Massin est persuadé de cet effet néfaste après une mauvaise expérience. « En 2021, nos couverts dépassaient le premier fil fixe du palissage. Nous avons eu des gelées blanches et noires, jusqu’à - 7 °C. Nous avons récolté moins de 10 % du rendement autorisé cette année-là. Depuis, je ne prends plus de risques. Je tonds les couverts avant un risque de gel annoncé lorsque je peux le faire. Et j’ai aussi observé que le couvert retarde le débourrement jusqu’à une semaine, car il ralentit le réchauffement du sol. »
Plus au sud, dans le Tarn, Thierry Massol, conseiller viticole à la chambre d’agriculture et animateur Dephy, avance que « des couverts plus hauts que les bourgeons peuvent éventuellement avoir un effet protecteur en cas de gelée noire. Mais cela reste très aléatoire ». Par précaution, il conseille d’appliquer la règle bien connue selon laquelle il faut détruire ou rouler les couverts un à deux jours avant un gel annoncé, quelle que soit sa hauteur.
Une recommandation des plus pertinentes pour Geoffrey Gabaston, chef de culture au Domaine Carcenac, à Montans (Tarn). « En principe, nous détruisons les couverts fin mars-début avril, avant l’annonce d’un risque de gel. Mais en avril dernier, la température est tombée à - 4 °C alors que nous avions laissé le couvert en place sur une parcelle d’essai. Ce couvert mesurait 60 à 80 centimètres de haut. Il était arrivé juste en dessous du premier fil de palissage. Là, 80 % des bourgeons ont grillé, tandis que nous avons récolté 92 hectolitres par hectare dans les parcelles où nous avions détruit le couvert. » « Les bourgeons qui étaient très proches du couvert ont systématiquement gelé », précise Thierry Massol.
Un couvert plus haut que les bourgeons les met logiquement à l’ombre. Les chercheurs suisses ont constaté que cette ombre empêche le développement des pousses, qui restent chétives et pales. À Montlouis-sur-Loire, Frédéric Moreau constate également que les couverts hauts ralentissent la pousse. « Avant que l’on roule nos couverts en mai, nos bourgeons ont une feuille de moins que chez nos collègues. » À l’inverse, en Champagne, Basile Pauthier indique que des couverts hauts induisent des températures diurnes plus élevées, ce qui entraîne « un forçage » de la vigne.