igure tutélaire et highlander des vins languedociens, Jacques Gravegeal a l’habitude de raconter des histoires de la filière vin que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. S’il en est une qui anime particulièrement le président du syndicat Pays d’Oc Indication Géographique Protégée (IGP), c’est celle de la marque Sud de France dont il revendique la création en l’an 2000. Alors que le sujet se polarise, entre rappel à la réglementation de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) et opposition de la filière languedocienne à l’interdiction administrative annoncée par la préfecture de région Occitanie, Jacques Gravegeal refuse d’être le bouc émissaire de cet épineux dossier. « On a souvent aimé que je porte le chapeau. Mais j’ai toujours été pour Sud de France comme bannière (sur les salons en France et à l’export, avec South of France). Pas sur les étiquettes. J’ai été le premier représentant des vins IGP à l’INAO, je sais bien que vous ne pouvez pas mettre une région qui n’existe pas sur l’étiquette ! » Quant à l’utilisation d’opérateurs de poids, comme le négociant languedocien Gérard Bertrand, Jacques Gravegeal répond du tac-au-tac : « Gérard Bertrand vend-il du Sud de France ou du Gérard Bertrand ? »
Pour le président du premier vin IGP (6 millions d’hectolitres en production pour 800 millions de cols commercialisés), il faut revenir à la naissance de Sud de France en l’an 2000 pour en comprendre les fondations. Tout commence par un appel remonté du négociant Robert Skalli (figure fondatrice de Pays d’Oc avec Yves Barsalou, voir encadré) interpellant la directrice du syndicat Pays d’Oc, Florence Barthès, sur la campagne « cépages de Méditerranée » porté à l’époque par l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG). « La référence à la Méditerranée était trop large pour lui, englobant aussi bien l’Italie, que l’Espagne, ou le Liban… » se souvient Florence Barthès, le rapportant dans la foulée à son président. Alors à l’aéroport, Jacques Gravegeal sortait le jour même de la présentation au Sénat du projet artistique de la Méridienne Verte, reliant la France du Nord au Sud. Le président du syndicat se rapporte avoir eu une révélation : la Méridienne Verte allant de l’Île de France à Carcassonne, Pays d’Oc lui apparaît « pile au Sud de la France » (en écho à la dénomination Île de France). « J’ai demandé de déposer tout de suite la marque. Nous l’avons utilisée dès le salon Vinexpo Bordeaux en 2001, puis sur la London Wine Fair comme South of France… Ça prend sans plus » rapporte Jacques Gravegeal.
Septimaniaque
Tout change après 2004 et la nouvelle présidence du conseil régional du Languedoc-Roussillon. Pour marquer son territoire, Georges Frêche veut créer une nouvelle identité sous la marque ombrelle Septimanie. Suscitant l’opposition (notamment une manifestation à Perpignan de 5 000 personnes fin 2005) à l’approche de la foire de Montpellier où devait être lancée la marque Septimanie, Jacques Gravegeal rapporte être allé rencontrer Georges Frêche pour lui « offrir », « pas par amour mais pour arrêter les querelles vous vous doutez », l’utilisation de "Sud de France" comme bannière pour les vins, tandis que "Sud et saveurs de France" serait utilisé pour l’agroalimentaire. Un accord qui n’a pas vraiment duré malgré une convention signée entre la région et le syndicat IGP (la bannière étant commune à tous les vins du Languedoc-Roussillon*).
Les choses ont dérapé selon Pays d’Oc en 2008, avec des communications autour de Sud de France utilisées dans des catalogues de la grande distribution pour des sardines, des melons… et même de la viande d’origine espagnole. « Les valeurs de la marque ont été vidées, de l’origine et de la qualité » regrette Florence Barthès. « J’ai donné Sud de France pour les vins, pas pour nommer le club de foot » grince Jacques Gravegeal, pour qui « parler de Sud de France sur l’étiquette, c’est du pipeau. Cela permet de ne pas parler de l’essentiel. » Reprenant le cap de l’assemblée générale 2024 de Pays d’Oc sur les 3V (vigne, vin et ventes), le président de l’IGP veut continuer à segmenter l’offre : « notre challenge est de faire connaître la marque Oc. Que nos 800 millions de bouteilles soient identifiées et reconnues. » Un chiffre dont Jacques Gravegeal n’est pas peu fier : « Pays d’Oc, c’est mon petit. Je suis assez satisfait du travail que nous avons accompli, je n’étais évidemment pas seul. »
* : En témoigne son utilisation pour la communication IGP Sud de France ce début 2025, par les vins IGP Aude, Hérault, Cévennes, Coteaux du Pont du Gard… Cette ODG précisant à Vitisphere que « la mention Sud de France ne peut être utilisée sur les étiquettes de vin, par contre elle peut être utilisée pour la communication ».
Faisant la genèse d’un vin de pays « passé de 0 à 6 millions hl », Jacques Gravegeal se rappelle du combat mené pour la création des vins de pays d’Oc dès 1984 : « il y avait l’opposition de la coopération, pour garder ses cotisations de vins de pays départementaux. Mais nous avons fait passer l’idée que "c’est un caprice de Jacques Gravegeal, il se pétera la gueule et ne vous emmerdera plus" » s’amuse encore le président fondateur de l’IGP, saluant les soutiens qui ont porté le projet de création d’un vin de pays régional Languedoc-Roussillon. Comme Jean Clavel, le directeur de l’AOC Coteaux du Languedoc, ou Hugues Jeanjean, à la tête du négoce éponyme, ou Yves Barsalou, président de la caisse régionale du Crédit Agricole. Si l’idée d’un vin de cépage est née d’une visite en Californie, Jacques Gravegeal donne une grande part de la paternité de Pays d’Oc au négociant Robert Skalli.
Spécialiste à Sète des vins de cépage avec Fortant de France, Robert Skalli a inventé la surlabellisation Pays d’Oc rappelle Jacques Gravegeal, la démarche concernant à l’époque 8 vins de pays départementaux (les 4 actuels, Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales ; les 4 abandonnés : Drôme, Ardèche, Vaucluse et Bouches-du-Rhône). Historiquement premier importateur de vins algériens (« il avait un pipeline à Sète »), « Robert Skalli a décidé de tout arrêter pour basculer sur Fortant de France. J’espère que l’on fera une statue à Robert Skalli un jour » glisse Jacques Gravegeal, rappelant que le négociant sétois était issu d’une importante famille de semouliers marseillais, les Cohen-Skalli, possédant le riz Taureau Ailé, les pâtes Lustucru, les conserves Garbit… « En Grande Distribution, il mettait les PLV Fortant de France dans n’importe quel point de vente. Quand on lui disait que ce n’était pas possible, il répondait qu’il faudrait se passer de Lustucru… Son panneau était tout de suite mis » se souvient Jacques Gravegeal, se rappelant également que le négociant avait réuni 13 autres opérateurs de poids investissant dans le Languedoc à l’époque pour phosphorer (Georges Duboeuf, Philippine de Rothschild, Michel Laroche…).