itisphere lu par… Jacques Dupont, plume du vin et journaliste pour le Point depuis 26 ans. Revenant sur un article l’ayant marqué à l’occasion des 25 ans de Vitisphere, l’inventeur du numéro spécial vins en 1999 sélectionne "Dérapage contrôlé : Les hygiénistes font de la crise viticole une simple "technique de lobbying"..." paru en mars 2024. Une actualité sur la nouvelle forme de théorie du complot d’Addictions France pour instrumentaliser la crise viticole en avançant que les difficultés commerciales et économiques de la filière vin ne seraient que des cris d’orfraies montés en épingle par un lobby de l’alcool en mal de relais parlementaires… Une forme de réalité parallèle que connaît bien l’auteur de l’essai Invignez-vous (paru en 2013 chez Grasset), qui relève « la continuité du discours » hygiéniste dans l’histoire. Dans son manifeste, Jacques Dupont explique « évoquer le mouvement hygiéniste dans son histoire. On s’aperçoit alors qu’il s’est construit depuis le dernier tiers du XIXème siècle sur, peut-être pas le mensonge, mais au moins dans le reflet d’un miroir déformant. »


Le journaliste cite deux exemples édifiants. Avec de « premières pierres après la défaite de 1870. Elle ne pouvait évidemment pas être la conséquence d’une incurie de l’état-major, des généraux et stratèges, donc le coupable c’est le vin dont les soldats faisaient un usage immodéré.... Il convenait donc de lancer une première ligue pour dénoncer ce produit destructeur du patriotisme (en face on ne buvait pas que de l’eau, mais peu importe) » rapporte Jacques Dupont, poursuivant sur « les ravages indiscutables de l’alcool dans le monde ouvrier des villes. C’est l’alcool, le coupable de la misère, pas les conditions épouvantables de travail, de logement, d’hygiène la plus élémentaire. La cause c’est toujours la béquille, pas la jambe coupée… »
De ces premiers discours à ceux actuels sur l’hygiénisme, il y a un changement notable : « au XIXème il était tenu par des nantis, des grands bourgeois qui avaient très peur d’un nouveau soulèvement de la "populace". Comme à la fin du XVIIIème et périodiquement au XIXème. Mais au XXème et au XXIème ce n’est plus le cas. Claude Évin est socialiste et nombre de ces hygiénistes se définissent à partir d’une vision sociale » pointe Jacques Dupont, pour qui « le souci qui est peut-être le drame de notre société, c’est l’absence du culture globale, ou pour le dire autrement la spécialisation à œillères. Pour faire médecine aujourd’hui, il faut être très bon en maths, en chimie. Parfait c’est garant d’une meilleure efficacité par rapport aux médecins de Molière. Mais autrefois, un médecin devait faire ses humanités, connaître le monde en dehors des laboratoires. »
Au pain sec et à l’eau de Vichy
Évoquant les nombreux débats sur le vin et la santé après la publication d’Invignez-vous (« surtout que les représentants du monde viticole ne se pressaient pas pour y aller et on en voit les conséquences »), Jacques Dupont se rappelle que « quand j’évoquais les paysages viticoles façonnés par l’homme et leur éventuelle disparition, quand je parlais de civilisation, même de la bible et des symboles du vin et de la vigne, on me répondait avec le même cynisme évoqué dans cet article de Vitisphere. Le comble de ce cynisme fut atteint par un des pontes de ce qui était alors l’ANPAA, devenue Addictions France, qui recevant une délégation de représentants du monde du vin, s’est félicité qu’en 1943 il y eut beaucoup moins de problèmes de santé liés à la consommation de vin… »
Alors que la puissance politique de la filière vitivinicole continue d’attiser les fantasmes et spéculations, Jacques Dupont est tranchant : « aujourd’hui, non seulement il n’y a pas de lobby du vin, sinon les propos d’Addictions France auraient été dénoncés avec bien plus de vigueur, mais la parcellisation du monde du vin en multiples organisations surtout tournées vers elles-mêmes, l’absence de front commun de toutes les régions font que le monde viticole est moins efficace que les betteraviers. » L’espiègle chroniqueur concluant qu’il n’a « rien contre les betteraviers mais faut bien admettre qu’en terme d’histoire au long cour, le vigne et le vin devraient posséder un léger avantage ».