’est la braderie, tout doit disparaître vite et à tout prix. Cela semble être le mot d’ordre des ventes de vin réalisées lors des liquidations judiciaires qui essaiment actuellement en Gironde et où les mandataires judiciaires/commissaires-priseurs paraissent plus focalisés sur la précipitation que sur la valorisation des lots de vrac et de bouteilles vendus à la casse. Rapportant des achats à 700 euros les 100 hectolitres de vin de Bordeaux rouge (millésimes 2020 et 2022), le vigneron-négociant Renaud Jean, membre du Collectif Viti 33, s’emporte : « à 7 €/hl l’appellation Bordeaux, c'est sept fois moins cher que le vin de table espagnol qui est à 50 €/hl ». Pour l’opérateur de Sauveterre-de-Guyenne (Gironde), « il faut stopper tout ça, on ne réussira pas à relancer le marché avec de tels lots qui polluent le commerce ».
Alors que des rumeurs de lots à 60 € le tonneau d’AOC Bordeaux se répandent dans le vignoble girondin et résonnent au-delà , « c’est catastrophique » confirme Didier Cousiney, le porte-parole du collectif Viti 33, qui bout : « on ne peut pas laisser ça comme ça, il faut agir. Quand un producteur achète et vend, il y a des cotisations à l’interprofession et des contrôles de QualiBordeaux. Et là , il n’y aurait rien ? »


Même condamnation et incompréhension pour les instances bordelaises, qui alertaient les pouvoirs publics dès une réunion de la cellule de crise de juillet dernier sur le manque de transparence de ces ventes en liquidation, dont les prix et volumes ne sont pas connus, et dont les cotisations interprofessionnelles ne sont pas acquittées. Ressentant « de la colère, du dépit », Bernard Farges, le vice-président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), est catégorique : voir de tels prix « c’est scandaleux, scandaleux. Il y aura prochainement des réunions à la demande de la profession auprès du préfet, des juges et mandataires » pour éclaircir la situation.
« Le sujet devrait être évoqué prochainement en réunion » confirme la préfecture de Gironde. En l’état, « ça passe sous les radars, il n’y a pas de contrats interprofessionnels, pas de contrôles qualité. C’est un scandale, il faut de la transparence » pose Bernard Farges, le viticulteur de Mauriac épinglant « des vautours qui profitent de la faiblesse de certains. C’est honteux. Il n’est pas normal que tous les viticulteurs et négociants soient soumis à des contrôles et que les mandataires passent sous les contrôles. On ne sait même pas si le vin est marchand, s’il est correct… »


Concrètement, « on demande le respect des règles de vente d’un vin » explique Stéphanie Sinoquet, la directrice de l’Organisme de Défense et de Gestion de l’AOC Bordeaux, pointant que « ces mandataires ne respectent pas le canal habituel : il faut une habilitation (la carte de négoce), l’enregistrement de la vente (par un contrat interprofessionnel) et il faut une déclaration à QualiBordeaux (qui peut ensuite contrôler). »
Sur les rumeurs d’opérateurs non habilités et ne respectant pas leurs obligations déclaratives, « nous n'avons pas pu les vérifier en l'absence de d’éléments tangibles » répond Régis de Lescar, le directeur de l’organisme de contrôle et d’inspection QualiBordeaux, qui précise être prêt « à effectuer toutes les vérifications nécessaires, à condition d'avoir des informations précises sur l'identité des personnes impliquées, ce que personne n’a pu nous fournir à ce stade » et pointe que « sans nier complètement la possibilité de tels agissements, nous tenons à préciser que nous recevons régulièrement des déclarations de retrait de vins achetés par ce biais, toutes en provenance d'opérateurs connus et respectant leurs obligations. » Sachant que « ces transactions sont soumises aux mêmes contrôles que toute autre opération similaire et ne font pas l'objet d'une attention particulière ». Le directeur de QualiBordeaux rappelant que « le retrait de vins d'AOC en vrac pour leur conditionnement nécessite que l'opérateur soit dûment habilité. Dans le cas contraire, il s'agirait d'une fraude relevant des autorités compétentes. »
Vente au marteau
Recevant des offres d’achat (validées par un juge) ou confiant les ventes à des commissaires-priseurs (faute d’offres satisfaisantes), les mandataires judiciaires liquidant des sociétés viticoles semblent avoir la particularité d’être injoignables. « Ils ont trop de boulot avec la crise actuelle » grince un connaisseur de la filière girondine. « C’est un milieu très fermé. Personne ne parle » confie un mandataire, reconnaissant que « quand il y a liquidation judiciaire, les actifs sont bradés. C’est l’offre et la demande. Et quand il y a peu de demande, les prix sont cassés et des acheteurs font des affaires. »
Pour mettre un terme à ces ventes, « la seule solution serait que des négociants se portent acquéreurs pour retirer les volumes et les envoyer à la distillation » esquisse Renaud Jean, se demandant comment un mandataire peut laisser vendre un vin à 7 €/hl quand la distillation volontaire se chiffre aux alentours de 15 €/hl.