Étonnant », c’est ainsi que maître Alain Nonnon, l’avocat du vigneron Alain Brumont (propriétaire des châteaux Montus et Bouscassé à Madiran, dans le Gers), qualifie le jugement du tribunal correctionnel d’Auch qui rejette ce 4 septembre les demandes d’indemnisation au civil de son client pour le vol dans les années 2010 de 55 000 bouteilles de vin du Sud-Ouest (château Bouscassé, château Montus et sa cuvée la tyre…) par cinq voleurs condamnés au pénal (en première et deuxième instance pour trois employés, la compagne et le neveu de l’un d’eux) pour un préjudice estimé à 1,2 million d’euros par le domaine (10 % du chiffre d’affaires) et 1,08 million € selon le chiffrage des Douanes (retenu par le tribunal d’Auch).
Portant sur les intérêts civils, cette procédure aboutit à un non-lieu car « le tribunal a estimé que la victime ne rapporte pas la preuve du nombre de bouteilles volées, ni la valeur de chacune de ces bouteilles » analyse maître François Roujou de Boubée, l’avocat du principal voleur, l’ancien responsable d’expédition des domaines Brumont. « En outre le préjudice matériel subi par la victime se distingue de la perte du chiffre d’affaires » poursuit le docteur en droit, rapportant que « dans ces conditions elle a été déboutée de sa demande. Il en va de même pour le préjudice moral, la preuve n’est pas rapportée. »


Une lecture du dossier qui n’est pas du goût des domaines Brumont, qui ne souhaitent pas commenter, mais vont faire appel. « En rejetant l’intégralité de sa demande d’indemnisation au motif que son préjudice n’était pas suffisamment caractérisé, le tribunal judiciaire a désactivé le jugement correctionnel qu’il avait lui-même rendu le 8 décembre 2022 sur l’action publique » critique maître Alain Nonnon, pointant qu’« il avait retenu 11 prévenus dans les liens de la prévention en les jugeant coupables des faits qui leur étaient reprochés. En statuant à l’absence de préjudice indemnisable, le tribunal a vidé de sa substance le jugement de culpabilité car s’il n’y a pas de préjudice démontrable il n’y a ni vol ni recel. »
Alors que l’enquête a démontré la mise en place d’un vaste réseau de receleurs (dans le temps et l’espace) et que les voleurs ont reconnu les faits (évoquant des vols de 60 caisses par jour ouvré pendant l’instruction) et des bénéfices (achats de home cinema, fauteuil électrique massant, cheminée électrique, billard, Porsche 986…), « le jugement civil a fait purement et simplement litière de ces faits pourtant irréfutables. C’est à n’y rien comprendre ! » tonne maître Alain Nonnon, pour qui « la cour d’appel saisie en réformation saura revenir à une logique juridique plus compréhensible pour le commun des mortels. » Pour maître François Roujou de Boubée, « le chiffrage de la victime n’est pas assez précis. Le préjudice existe (en sa notion), mais il appartient à la victime de le chiffrer, ce qu’il n’est pas arrivé à faire. »