iveau phyto dans le vignoble, « On nous enlève tout le temps des choses [pour traiter]. Ça devient de plus en plus compliqué de sauver sa récolte » constate Emmanuelle Bordeille, la gérante du château Lambert (18 ha en AOP Fronsac en HVE et ZRP, un tiers en cave particulière et deux tiers en cave coopérative au site de Lugon des Vignerons de Tutiac). Après une nouvelle année éprouvante, la vigneronne a dû lutter avec les armes à disposition contre le mildiou. Mais contrairement à ses voisins bordelais, elle avait un outil en plus : la matière active issus des microalgues d’Immunrise, qui a fait ses preuves ce millésime 2024 grâce à une nouvelle formulation.
« On ne veut pas crier victoire trop tôt, mais on est dans la bonne direction » résume Laurent de Crasto, le PDG cofondateur d’Immunrise Biocontrol France , pour qui « la clé » de l’efficacité de son produit, « c’est la stabilité de la molécule qui est très puissante ». Créée en 2016 à Cestas (Gironde), la start-up a isolé et breveté une molécule venue des fonds marins et de la microalgue Amphidinium carteræ : l’amphidinol, un polyène qui se fixe sur l’ergostérol composant les membranes cellulaires du mildiou (conduisant à l’explosion des cellules fongiques par coup de pression osmotique). « Molécule naturelle extrêmement efficace », l’amphidinol présente le défaut d’être « très biodégradable dans les conditions du champ » (oxygène, lumière, température…) rapporte Laurent de Crasto, qui a conservé depuis l’origine l’intuition que des algues pourraient avoir un puissant effet sur des champignons n’ayant jamais été en contact avec des molécules marines, ou, pour ainsi dire, extraterrestres.
En mars 2024, la start-up a développé une nouvelle formulation pour stabiliser cette molécule indique Delphine Marquès, ingénieur R&D pour Immunrise, qui pointe une amélioration : la conservation n’a plus à se faire dans un congélateur, un frigo est désormais suffisant. C’est la seule contrainte reconnaît Emmanuelle Bordeille. Désormais reformulé, le produit a une action préventive pouvant durer 3 à 7 jours après pulvérisation selon les pluies note Laurent de Crasto. Cette nouvelle formulation est testée dans des essais scientifiques (avec un protocole répété dans le Gard, en Italie…) et mis à l’épreuve des conditions réelles (avec trois essais dans le vignoble ordelais).
Le château Lambert dédie à ces essais les 30 ares de merlot propices au développement du mildiou : une parcelle encaissée et isolée du reste du vignoble, plantée il y a 6 ans sur riparia à 5 500 pieds/ha, avec un rang de témoin non traité (bâché pendant le passage du pulvérisateur pneumatique) où l’on ne trouve plus de raisins mais encore du feuillage (malgré la grêle tombée mi-juin et la forte pression mildiou), un rang traité en conventionnel (4 fois en encadrement de la fleur avec des produits et une fois après l’orage de grêle de mi-juin) et le reste de la parcelle recevant les 5 traitements conventionnels (en encadrement de la fleur) et 11 passages du produit d’Immunrise du 10 avril au 27 juillet (avec 2,5 g de matière active par hectare ) selon un Outil d’Aide à la Décision (avant les pluie contaminatrice et après le ressuyage) avec pour résultat un feuillage préservé et des grappes chargées de raisins (les rendements seront mesurés à la récolte, fin septembre).
Des résultats encourageants face à un « mildiou très sporulant sur la saison, jusqu’à la mi-août » souligne Delphine Marquès. Les premières estimations tablent sur « 85 à 90 % d’efficacité » de la solution Immunrise, « avec très peu de pertes sur une année de grosse pression mildiou et pluie. Le produit tient » abonde Laurent de Crasto, qui n’a pas « l’objectif de traiter à 100 % » la vigne avec les solutions d’Immunrise, mais évoque des stratégies d’alternance entre microalgue et cuivre/produits conventionnels afin de réduire les risques de contournement et autres développements de résistance. Avec son biocontrôle, Il y aurait déjà des réductions de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) de 50 à 70 % ajoute Laurent de Crasto.


Après le travail de reformulation, le projet initial de commercialisation en 2026 est reporté, la demande d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) étant toujours en cours et ne permettant pas d’envisager de lancement avant 2027 ou 2028. S’il n’a pas de nom pour ce biopesticide par action directe, Laurent de Crasto travaille actuellement en phase de préindustrialisation : les outils de production sont développés en Islande, pour des enjeux d’accès à une hydroélectricité peu chère pour éclairer les algues et permettre de réduire les coûts de production : « nous voulons être dans le marché des produits de contact. Nous sommes plutôt dans la fourchette haute actuellement » reconnaît l’ingénieur agronome, qui a pour « but de ne pas être deux fois plus cher que ce qui se fait ailleurs sur le marché ».
Pouvant potentiellement s’appliquer à d’autres pathogènes sur d’autres cultures (grandes cultures, pommes de terre, pommiers, tomates…), le projet d’Immunrise compte d’abord s’implanter comme un traitement de choix dans le vignoble. Sans être le seul outil de protection plus vertueux des ceps, étant complété par d’autres matières actives et solutions culturales, comme les cépages résistants. « Il faudra plusieurs solutions à l’avenir, n’en avoir qu’une est trop risqué » estime Laurent de Crasto. « Il n’y aura pas de produit miracle » confirme Emmanuelle Bordeille, pour qui les réalités économiques et écologiques se télescopent : « une année compliquée comme celle-là, il faut sauver la récolte. Surtout quand vous avez 80 % de pertes de récolte à cause de la grêle ».
« Sans traitement, il ne reste rien » pointe Laurent de Crasto devant le rang non traité.
Le rang ayant été seulement traité 5 fois avec des produits conventionnels conserve quelques feuilles et la moitié de ses grappes.
Le rendement de la parcelle traitée par Immunrise sera connu cette fin septembre.