hez Charlotte Salvary-Fulda, vigneronne en Anjou-Saumur (domaine les Coquilles, 4hectares Puy-Notre-Dame) et membre du jeune collectif Viti-F, les vendanges sont réalisées par des femmes, exclusivement. Pas d’exclusion des hommes, mais des amies d’amies d’amies qui arrivent là par le bouche-à-oreille. Car la vigneronne, féministe revendiquée, a revu son organisation pour la rendre plus inclusive.
Ça commence dès la petite annonce : « On écrit qu’on oublie le patriarcat », s’amuse-t-elle. « Et le premier soir, on explique qu’on ne veut pas le moindre comportement type Violences Sexistes et Sexuelles (VSS). »
Dans les vignes, elle a choisi « des caisses de 15 kg au lieu de 20 kg, pour pouvoir les porter soi-même. Même si on fait plutôt la chenille pour les sortir. Ça en énerve certains, mais même quelqu’un de super costaud, au bout de trois semaines à forcer comme un malade, il a mal au dos. » Le fonctionnement convient également à Frédéric Hausse, vigneron voisin, avec qui elle partage au besoin l’équipe.
Tente caca et congé menstruel
La réflexion se poursuit dans le chai, où elle forme deux responsables « pour qu’elles puissent se relayer et ne pas s’épuiser. Et j’explique le plus possible ce que je fais à toutes celles qui demandent. » L’accès à la formation demeurant l’une des grandes inégalités de genre pour les ouvrières agricole*, cette posture de transmission est aussi militante.
Autre décision : ses salariées (toutes saisonnières) bénéficient également d’un congé menstruel, y compris pendant les vendanges. « Un geste clairement militant, car il n’y aucune prise en compte de ce besoin dans le système actuel. »
Ses idées « inclusives » ne se limitent pas aux vendanges. Toute l’année, elle monte également ce qu’elle appelle en riant la « tente caca » dans la parcelle visitée : une simple cabine en toile équipée « d’un seau de sciure, de gel hydroalcoolique et d’un jerrican d’eau », petit espace bricolé d’intimité offert aux équipes. « C’est un vrai non-dit, mais quand il n’y a plus de feuille dans les vignes, bon courage pour s’isoler… Mon système est certainement perfectible, mais c’est déjà mieux qu’un buisson. »
Brochure de sensibilisation
Autre champ d’action : celui de la prévention des violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS). Membre active du jeune collectif Viti-F, porté par le GABB Anjou, Charlotte Salvary-Fulda a participé à la fabrication d’une brochure intitulée Agir contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels au sein de son domaine. « Nous avons reçu des demandes de vignerons désemparés face à des comportements dans leurs équipes. Cette brochure les aide à savoir comment réagir », explique Emilie Tourette-Brunet, vigneronne angevine, autre membre du collectif.
Elle aussi compose chaque année une équipe « 100 % féminine » pendant ses vendanges, plus par hasard que choix militant. « Mais quand elles m’ont dit qu’elles revenaient parce qu’elles trouvaient l’ambiance plus ‘safe’ qu’ailleurs, j’ai pris conscience d’un problème que je connaissais, mais que je n’avais jamais formulé. »


Charlotte, qui a été ouvrière viti pendant 10 ans avant de s’installer, se souvient par exemple des collègues « qui se mettent sous l’échelle pour mater, qui veulent savoir avec qui on dort dans le dortoir, la patron qui fait des allusions grivoises quand on est seule avec lui dans le fourgon… » « Cette impression qu’on doit toujours rester sur nos gardes, résume Émilie. Ce n’est pas normal. »
Le document a été diffusé aux adhérents du Maine-et-Loire et en Indre-et-Loire avant le démarrage des vendanges. On y trouve des contacts utiles, un rappel de définition du harcèlement et de l’agression sexuelle, et la règle des "5D" adressée aux témoins d’outrage sexiste ou d’agression sexuelle : "distraire, déléguer, documenter, diriger et dialoguer". « Nous avons cherché des modèles de brochures de sensibilisation, rapporte Kady Sonko, technicienne viticole du GABB. Mais on n’a rien trouvé pour la filière viticole. Les ouvrières et saisonnières viticoles sont pourtant parmi les personnes les plus vulnérables », du fait de leur précarité et de leur invisibilisation. « Il y a encore beaucoup de travail à mener. »
* : Source : Les femmes et la vigne, une histoire économique et sociale, 1850-2010 de Jean-Louis Escudier (éd. presses universitaires du Midi, 2016).