empête judiciaire dans un verre de Bergerac. Dévoilé par le Sud-Ouest, le vif affrontement autour de la vente pour 5 millions € du vignoble des Verdots, et de sa marque Clos des Verdots, défraie la chronique des vins de Bergerac. La cession de sa quarantaine d’hectares de vignes n’y avait pourtant laissé que des sourires fin 2021 : ceux du vigneron vendeur, David Fourtout, quatrième génération à la tête du domaine, et du milliardaire islandais acheteur, Róbert Wessman, à la tête de groupes pharmaceutiques Alvogen et Alvotech. Tout allait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Nous allions construire une cave dans les jardins du château Saint-Cernin [doté de vignobles depuis 2015], que Róbert Wessman possède depuis 20 ans, mais au vu du prix, il m’a dit qu’il pouvait s’acheter un domaine pour la même somme et nous sommes allés faire le tour des voisins » se rappelait il y a trois ans James de Roany, le directeur général de Maison Wessman. « Quand je les ai vus arriver, je leur ai dit que ce n’était pas à vendre. Mais ils le voulaient et tout a un prix » évoquait alors David Fourtout, qui est devenu vendeur au bout de 15 mois de négociation et s’est installé dans un nouveau domaine à proximité (château les Monderys).
Voisins, les deux domaines sont désormais à couteaux tirés, alors que le solde du prix de vente est réclamé par le vendeur à son acheteur : 1 million €, qui devait être versé au plus tard le 26 octobre 2023. Un virement que l'acquéreur a suspendu, en estimant qu'il y avait une non-conformité dans le contrat de cession en faisant appel à sa clause de réparation (une garantie d'actif et de passif plafonnée à 2 millions d'euros). Ne souhaitant pas répondre aux questions précises de Vitisphere, Maison Wessman Holding transmet le droit de réponse général envoyé au quotidien Sud-Ouest suite à ses publications sur le conflit « du Vignoble des Verdots » (on notera pour la suite que le terme de clos est évité). « Après le rachat des Verdots, Maison Wessman a découvert de sérieux problèmes l’obligeant à mettre en œuvre la garantie de passif » indique la communication laconique, précisant « que 80 % du prix ont été payés au moment de la vente et qu’à la demande du juge, le solde de 20 % est saisi sur un compte dédié dans l’attente du jugement final. Malgré des tentatives de discussion avec l’ancien propriétaire, celui-ci a préféré que l'affaire soit portée en justice, assumant seul la responsabilité de ses assertions. »
En attente de jugement sur le fond
Répétant son attachement aux vins de Bergerac et rappelant ses investissements dans le « Vignoble des Verdots » (augmentation de moitié des surfaces et restructuration du vignoble, refonte de la cave souterraine, adaptation du caveau de vente, projets réceptifs avec gîte et restaurant…), « Maison Wessman attend donc le jugement en respectant la procédure légale et reste déterminée à contribuer positivement au développement de la région et à maintenir un engagement fort envers la viticulture locale, responsable et durable ».
Avocate de David Fourtout, maître Christine Jaïs estime que ce dossier est d’une grande banalité : « quand il faut payer et qu’on ne le veut pas, on trouve toujours des raisons pour ne pas le faire. On dit que l’on s’appelle clos, qu’on n’a pas de vignoble en clos et que l’on ne peut donc peut pas s’appeler clos... Ils nous expliquent qu’il y a un risque, mais ils exploitent toujours la marque et continuent à la produire et à la vendre. Ce qu’ils ne feraient pas s’ils estimaient qu’ils encourraient la correctionnelle. »


Affirmant que le nom de la propriété et de son respect de la réglementation sont à l’origine du blocage du versement du solde de la transaction, l’avocate bordelaise s’appuie sur le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 sur l'étiquetage des vins pour affirmer qu’« il n’y a pas besoin d'être clos pour utiliser le terme clos. Soit il y a autonomie culturale et vin en AOC reprenant un nom existant (ici depuis un siècle), soit il y a une dérogation pour utiliser ce vocable qualifiant avec la délimitation de parcelles précises par des haies ou murs. Nous ne sommes pas dans la dérogation, mais dans le principe de base. »
Le dossier a déjà été jugé en référé devant le tribunal de commerce de Bergerac ce 20 décembre 2023 (imposant le versement par la maison Wessman d'un million € à David Fourtout, comme « aucune réparation éventuelle n'est exigible en l'espèce à ce jour, faute d'accord et de décision tranchant le litige » conformément au contrat de cession signé le 26 octobre 2021), puis la cour d’appel de Bordeaux ce 15 février 2024 (la juridiction déboutant la demande de suspension de l'exécution provisoire de la maison Wessman faute de document prouvant « le risque de conséquences manifestement excessives » pour le débiteur et le créancier). La maison Wessman a défendu lors de la procédure que la demande de David Fourtout était irrecevable, comme il n'y avait pas eu de procédure préalable de conciliation. Le vendeur estimait au contraire que l'acheteur devait payer le solde du prix de vente comme le préjudice allégué serait dissocié de l'engagement de paiement.
Au final, les parties restent irréconciliables. « On a en main une ordonnance exécutoire des référés pour payer ce million d’euros. On ne l’est pas » rapporte maître Christine Jaïs, qui demande la main levée sur les fonds placés sur compte Carpa (Caisse des règlements pécuniaires des avocats), car « c’est très bloquant pour mon client, jeune viticulteur qui vend sa propriété et se retrouve sans fonds alors qu’il se réinstalle. » Pour achever de complexifier le dossier, ce 22 janvier le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bergerac a autorisé la saisie conservatoire des créances de la maison Wessman à l'encontre de David Fourtout, soit 1 million €. Une décision découlant d'une procédure sur requête, où seule la maison Wessman a présenté sa demande. Donc sans contradictoire de David Fourtout, qui a saisi le juge pour pouvoir être entendu et demander la mainlevée de cette autorisation de saisie.


« A ce stade il n’y a eu que des référés et donc aucun jugement sur le fond, donc, en clair, rien de tranché » accepte-t-on de préciser chez la maison Wessman, ajoutant que « le juge des référés a considéré que le litige était réel et sérieux et qu’il fallait un jugement sur le fond » et qu’avec le blocage des sommes, « il n’y a aucun problème de paiements ou de "mauvais payeur" car tout a été intégralement versé, même si l’ancien propriétaire n’a, pour l’heure, que touché 80 % de la somme. Les juges sur le fond décideront in-fine. » On pourrait même parler de juge sur les fonds dans ce cas d’espèce.