epuis la terrasse de notre chambre, dans la pension des Germuth, la vue s’offre d’un côté sur des parcelles de vignes alignées formant un cirque et, de l’autre, sur un paysage tout aussi époustouflant de bois et de vignes mêlés. En bas, dans la salle de réception, des visiteurs font tinter leurs verres en riant à gorge déployée. Une entreprise de Graz, capitale de la région, est représentée le jour de notre visite : son patron a offert à ses employés une excursion.
Nichée à Gamlitz, village de 3 000 habitants, la pension surplombe la route des vins de Styrie méridionale. Heidi et Herbert Germuth sont vignerons et aubergistes. Ils exploitent une de ces tavernes typiquement autrichiennes qui servent des plats froids pour accompagner les vins de leur production. Ils ont fait les choses petit à petit, comme tout le monde ici. Herbert a transformé cette ancienne maison en pension avec quatre vastes chambres, et a construit une cuverie toute neuve sur l’ancienne cave de son grand-père.
Comme ses collègues, Herbert cultive des cépages blancs (sauvignon blanc, welschriesling, muscat jaune, gewurztraminer, pinot blanc et chardonnay – appelé ici morillon) et quelques rouges. Il propose vingt-cinq vins, allant de 7,70 à 25 €/col, prix caveau. Il met toute sa production en bouteille, produit 50 000 cols par an qu’il vend chez lui ou à des restaurants locaux, qu’il livre lui-même. Récemment, son fils Stefan, 26 ans, l’a rejoint. Sans surprise : il était convaincu depuis la maternelle qu’il serait viticulteur.
Des histoires comme celle-ci sont légion en Styrie. Située à la lisière de la Slovénie et de la Hongrie, cette région où les paysans ont su miser sur la viticulture pour prospérer a été baptisée « le cœur vert de l’Autriche ». Aujourd’hui, la Styrie compte près de 5 000 hectares de vignes, toutes magnifiquement tenues par des exploitations qui bénéficient d’un flot de touristes venus d’Autriche et d’Allemagne mais aussi de Hongrie, Pologne et Tchéquie.
C’est dans les années 1980 que la région s’est tournée vers la viticulture, emmenée par les familles Gross, Tement, Sattler, Wohlmuth, Lackner-Tinnacher ou encore Skoff. Toutes exploitent des surfaces importantes, après avoir investi dans les outils de production et de réception. Voisin des Germuth, Walter Skoff, 69 ans, illustre lui aussi cette transformation radicale. Son père possédait 1,7 ha de vigne, des cochons et des vaches. Aujourd’hui, à la tête de Skoff Original (ainsi baptisé car il existe un autre Skoff), il exploite 60 hectares de vignes et achète à trente-cinq viticulteurs l’équivalent de 48 ha. Son entreprise emploie vingt-cinq personnes à l’année, et son fils de 42 ans travaille avec lui. Walter a été l’un des premiers à exporter et à se démarquer par l’excellence de ses sauvignons blancs et de ses chardonnays. Il a construit en 1996 une cave souterraine, recouverte d’une salle de vente très élégante.
Plus loin encore, les Lackner-Tinnacher ont transformé leur vieux chai en une demeure stylisée, imaginée par leur fille Lisa. Sa sœur Katharina tient les rênes du domaine, 27 hectares travaillés en bio.
Chez Tement aussi, toute la famille se remonte les manches : le père a développé l’entreprise qui couvre aujourd’hui 100 ha de vigne (80 ha en Autriche et 20 ha en Slovénie), ses deux fils et sa fille sont aux manettes. Le 24 avril, lors de notre passage, ils mettaient en bouteille à l’aide d’une tireuse partagée avec d’autres producteurs.
Tous ces vignerons se sont regroupés au sein du syndicat des vignerons de Styrie, chargé d’assurer leur promotion et de vanter l’excellence de leurs sauvignons et chardonnays. Pour la deuxième fois de son histoire, cette année, la ville de Graz accueillait le Sauvignon Blanc Selection organisé par le Concours mondial de Bruxelles. Les vignerons locaux sont particulièrement fiers de rappeler que leurs sauvignons ont remporté onze des dix-neuf grandes médailles d’or, et trois des quatre trophées internationaux.
Six des multimédaillés à ce concours ont décidé de réunir leurs vins dans une caisse bois appelée Sélection des champions du monde (Weltmeister Selection). Il existe même un produit touristique qui emmène les amateurs faire la tournée de ces champions en cinq heures, accompagnés par un guide.
Dans la Styrie des volcans, à une demi-heure de Gamlitz, direction la Hongrie. Les exploitations y sont tout aussi prospères, mais le paysage bien différent : des plaines à céréales où pointent ici et là de vieux volcans aux pentes couvertes de vignes. Ici, les touristes viennent fréquenter les nombreux thermes ; une manne pour les vignerons.
Chez les Winkler-Hermaden, toute la famille est impliquée : pas moins de dix membres des différentes générations travaillent main dans la main. Les 37 hectares sont cultivés en agriculture biologique sur plusieurs Ried (crus). Dans leur château de Kapfenstein, des chambres et une table gastronomique accompagnent la production de vin.
Plus loin, à Straden, les Krispel ont tellement bien développé leur affaire, en seulement deux générations, qu’ils atteignent désormais le million de bouteilles produites et viennent d’inaugurer leur énorme cave faite de béton et d’acier patinable, inspirée des éruptions volcaniques. En parallèle, ils élèvent des cochons laineux mangalica, réputés pour leur viande tendre. La polyculture comme il y a quarante ans, en somme, mais version 2024.